118. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Dresde, 3 novembre 1769.
Sire,
Je suis arrivée ici mardi au soir heureusement, si l'on peut être heureux en s'éloignant de V. M. Il me semble que je sors d'un beau songe, ou que j'ai lu un conte de fées : ce ne sont que palais magnifiques, jardins agréables, concerts ravissants, princes et princesses charmantes; mais j'oublie bientôt l'enchantement pour ne songer qu'à l'enchanteur. Vous m'avez fait passer, Sire, les neuf journées les plus délicieuses que j'aie eues de ma vie; j'ai vu le triomphe du goût et des arts, de la magnificence et de la sagesse; tout était l'ouvrage de Frédéric. Je l'ai vu encore plus grand que les grandes choses qu'il a exécutées, entouré de tout ce qui peut fixer l'attention des hommes, et n'en attirant pas moins tous les regards à lui seul; et ce prince sublime m'honore de son amitié, me comble des attentions les plus touchantes, de mille bontés que je ne saurais assez apprécier. Recevez-en mes remercîments, Sire, s'il y a des remercîments au monde dignes de ce que je vous dois; j'en suis profondément pénétrée.
Le billet de V. M., qui m'a été remis par son grand maréchal, a mis le comble à ma satisfaction; j'en ai été attendrie jusqu'aux larmes. Vous me promettez, Sire, de ne pas m'oublier, et vous me laissez espérer que les heureux moments que j'ai vécu chez vous ne sont point passés pour toujours. Il n'en fallait pas moins pour rendre mon départ supportable. Le nouveau motif de reconnaissance que V. M. ajoute, en m'accordant la liberté du prisonnier que j'avais osé demander, n'a rien coûté à la grande âme de Frédéric; c'est peu pour lui, et c'est beaucoup pour moi; j'y trouve une preuve réitérée de cette bonté, et puisqu'enfin vous me permettez, Sire, de me flatter de cette amitié qui m'est plus chère que tous les biens de la terre, veuillez, Sire, me la conserver. Mes plus beaux moments, à l'heure qu'il est, sont ceux où je me livre au souvenir de Potsdam, de Berlin, du grand monarque que j'y ai vu, que je ne cesserai d'admirer et d'honorer <183>que quand je cesserai de vivre. Encore me flatté-je que des sentiments aussi vifs doivent survivre au tombeau. Mais puisqu'enfin je ne puis répondre que jusque-là, croyez au moins, Sire, que seul il peut être le terme de la haute estime et de la reconnaissance inexprimable avec lesquelles je suis, etc.