167. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Munich, 16 mai 1773.
Sire,
La dernière lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire m'a mise de très-mauvaise humeur contre cet enchaînement des causes premières et secondes qui gouvernent le monde. Est-il possible que, quand Frédéric désire la paix, qu'il s'y emploie, qu'il l'espère, cette paix pourtant ne se fait pas? Je vous avoue, Sire, que tout ceci ne met pas moins en déroute ma philosophie que ma politique. Je suis outrée d'apprendre que ce soient les ulémas qui font les récalcitrants. Le passé leur devrait <251>conseiller moins de roideur. Tant que l'incendie durera dans un coin de l'Europe, je ne cesserai d'appréhender qu'il ne se communique de proche en proche. Je crains la brûlure, et, malgré tout ce que V. M. peut me dire, je n'ai de confiance qu'en elle. C'est à vous, Sire, à nous procurer le repos général, et à rendre les ulémas pacifiques.
Je ne compte plus rester longtemps avec mes bons Bavarois; je quitterai bientôt les foyers de mes pères pour me rapprocher du séjour de la grandeur et de la gloire. Si, malgré un peu plus de proximité, mes yeux ne le voient pas, mon âme au moins sera toujours présente aux lieux que Frédéric éclaire de toute sa splendeur. Je me rappellerai sans cesse les moments où je l'ai vu, plus grand encore que sa haute réputation, descendre à tous les soins et à toutes les bontés dont un mérite médiocre eût eu besoin pour plaire. Je n'oublierai pas que j'ai été l'heureux objet de cette condescendance. La tête ne m'en tournera pas, car j'y prendrai bien garde; mais je n'aurai jamais fait un plus grand effort de raison qu'en m'opposant à la douce illusion que l'approbation du plus sublime des hommes eût dû faire sur mon mérite. Ah! Sire, que l'on s'en trouve peu lorsqu'on a eu le bonheur de vous connaître! Tout autre sentiment s'évanouit pour faire place à l'admiration et à la haute estime avec lesquelles je suis, etc.