186. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Munich, 26 février 1775.
Sire,
Votre Majesté juge par ses bontés pour moi de celles des autres. Mais il s'en faut bien que les Muses m'aient traitée aussi favorablement que vous me traitez, Sire. Jamais la gent habitante du Parnasse ne s'est déplacée un moment pour moi. Ces pauvres filles de Mémoire, qui, malgré ce nom, ne se souvenaient pas de grand' chose, auraient craint de périr de froid au pied des Alpes du Tyrol. La famille d'Apollon m'a abandonnée aux esculapes d'ici, qui, assurément, ne descendent pas du dieu du goût. Je n'en suis pas moins guérie et rendue à la vie, que j'aime parce qu'elle est un grand bien, et parce que, à tout prendre, la somme de ses plaisirs surpasse infiniment celle de ses maux. Pour vous voir, Sire, pour vous admirer, pour passer deux délicieuses huitaines au séjour des arts et de la gloire, il fallait vivre. Pour jouir de ce souvenir enchanteur, il faut vivre encore; c'est au moins le plus sûr. Eh bien, Sire, j'ai vécu et je vivrai le plus qu'il me sera possible, et les revers qui peuvent m'attendre encore dans cette épineuse carrière d'ici-bas seront bien grands, si le souvenir du bonheur que j'ai goûté, et les sublimes exemples de l'héroïsme de Frédéric, ne m'aident pas à les supporter.
Voilà donc enfin les conditions de la dernière paix remplies, et tout pacifié sur notre petit globe. Il faut sans doute que, dans l'ordre des choses, la guerre entre, comme le levain dans le pain, dans la constitution de la société humaine, ou comme la matière électrique dans notre atmosphère, où maintenant on la charge de tout faire au hasard, de mettre le feu à quelque clocher ou à quelque village par-ci par-là. Pour moi, Sire, je n'aime pas tous ces petits nuages électriques que vous autres héros tenez toujours suspendus au-dessus de nos têtes, prêts à s'étendre et à vomir la foudre et le tonnerre au premier signal. Ah! laissez-nous, de grâce, le temps de vous admirer en paix; c'est ma plus douce occupation, Sire, et la seule dont je ne me lasse point. Puisse-je <276>me pénétrer assez de cette admiration profonde et de la haute vénération avec laquelle je suis, etc.