[M. de Hertzberg à Frédéric, Berlin, 3 janvier 1781]
L'écrit du Roi ayant paru, entre autres savants, l'abbé Jérusalem fit une apologie modeste de la littérature allemande. S. A. R. madame la duchesse douairière, qui l'avait occasionnée, l'envoya aussitôt au Roi. Sa Majesté la communiqua, par une lettre très-gracieuse du 28 décembre 1780, à M. le comte de Hertzberg, qui se trouvait alors attaqué d'une maladie très-dangereuse. Ce ministre écrivit là-dessus au Roi la lettre suivante :
Berlin, 3 janvier 1781.
Sire, je reconnais comme une marque précieuse du gracieux souvenir de V. M. qu'elle m'a communiqué l'écrit de l'abbé Jérusalem sur la littérature allemande, qu'il a adressé à S. A. R. madame la duchesse douairière de Brunswic, à l'occasion du mémoire de V. M. sur la même matière. Je l'ai lu aussitôt que ma santé très-affaiblie me l'a permis, et j'en ai fait faire par le secrétaire Le Coq, de notre chancellerie, une traduction française que je présente ci-jointe à V. M., au cas qu'elle veuille la lire en tout ou en partie. Le mémoire de l'abbé Jérusalem a son mérite, et me paraît écrit avec vérité, modestie et pureté. Il y applaudit, en général, aux raisons que V. M. allègue du peu de progrès de la langue allemande, savoir aux guerres qui pendant deux siècles ont désolé l'Allemagne, et au manque de protection des souverains; et il avoue que l'éloquence du barreau et de l'Église ne pourra jamais devenir aussi brillante en Allemagne qu'en France, à cause de la constitution et des principes de religion, sur quoi il dit des choses assez mémorables. Il convient que la langue allemande cède à la langue française en harmonie; mais il soutient qu'elle la surpasse en force, et qu'elle est tout aussi harmonieuse que la langue grecque, qui avait autant de consonnes et plus de diphthongues. Il soutient enfin que, depuis le règne de V. M. et depuis le grand exemple qu'elle a donné à toute l'Europe de la culture de toutes les sciences, la littérature et la langue allemande avait pris un essor qui lui promettait en peu la préférence sur celles des autres nations. Enfin ce prélat appuie son sentiment <350>par des raisons et des exemples qui rendent ce mémoire d'autant plus intéressant, qu'il s'accorde pour l'essentiel avec celui de V. M.
J'ai cru devoir exposer à V. M. mon faible sentiment sur cette pièce, autant que mon état présent me le permet. Je suis avec le plus profond respect, etc.