<215>Voilà pourtant, Sire, ces Espagnols qui, malgré leur inquisition, viennent de prendre Port-Mahon. Ils sont, ce me semble, plus heureux que sages, et les Anglais un peu plus ineptes qu'ils n'étaient du temps de Marlborough et de mylord Chatham. On commence à croire que ces pauvres Espagnols, malgré leurs sottises multipliées au camp de Saint-Roch, finiront aussi par prendre Gibraltar, qui, à la vérité, montre un peu plus les dents que Port-Mahon n'a fait. Ce camp de Saint-Roch n'en fait pas plus, ce me semble, que la neutralité armée, dont nous attendons toujours, et jusqu'à présent assez en vain, les efforts sérieux pour réprimer l'insolence anglaise. Elle ferait bien mieux encore, si elle pouvait déterminer les Anglais à la paix, dont ils ont besoin ainsi que nous. Mais je crains, Sire, que cette paix ne soit pas aussi prochaine qu'elle est désirable.
Nos politiques des Tuileries, qui savent rarement ce qu'ils disent, parlent d'une menace d'invasion dans les États du vénérable sultan de la part de deux de nos voisins. Il serait plaisant que le César voulût à la fois chasser le pape et le Grand Turc : cela m'est fort indifférent, si le repos de V. M. n'en souffre pas; car je ne lui souhaite plus que le repos. Et qu'a-t-elle besoin de gloire?
Cette planète ou comète qu'on voit au ciel depuis longtemps annonce peut-être de grands événements politiques. Malheureusement il n'est point du tout certain qu'elle soit comète; auquel cas, comme le sait très-bien V. M., elle n'aurait pas l'honneur d'annoncer même de la pluie ou du beau temps. Elle est véhémentement soupçonnée d'être une pauvre planète que sa petitesse et sa distance avaient tenue jusqu'ici dans l'obscurité; mais il faudra du temps encore pour que les astronomes puissent lui donner un état, et faire, comme on dit, sa maison.
En attendant, Sire, conservez-vous, daignez me continuer vos bontés, et recevoir l'hommage du profond respect avec lequel je serai jusqu'au tombeau, etc.