<267>passer quelques mois à Berlin, puisque vous ne voulez pas y fixer votre demeure; vous pourriez faire ce voyage au commencement de la belle saison. Quoique S. M. connaisse parfaitement votre désintéressement, elle sait qu'il convient à un grand roi de répandre ses bienfaits sur des savants illustres; ainsi elle aura soin de pourvoir aux frais de votre voyage, dès que vous m'aurez instruit de votre intention, et je vous prie de me la faire savoir.

Qu'est devenu Voltaire? On dit qu'il est retiré dans une maison de campagne en Alsace,a où il va écrire l'histoire d'Allemagne; elle sera nécessairement dans le goût du Siècle de Louis XII, car il aura encore moins de secours pour cet ouvrage qu'il n'en a eu pour l'autre. Il compilera et abrégera ce qu'ont dit les historiens; il dira du mal de ces mêmes historiens qu'il aura pillés, et étranglera les matières; il hasardera quelques anecdotes dont il ne sera instruit qu'à demi; il mêlera à cela quelques traits d'épigramme, et il appellera cet ouvrage l'Histoire d'Allemagne. Pourquoi faut-il que l'auteur de la Henriade soit celui du Temple du Goût, que celui d'Alzire ou de Zaïre soit celui des Eléments de Newton, et celui de tant de charmantes petites pièces, celui de la sèche et décharnée Histoire du Siècle de Louis XIV? Quel homme que Voltaire, s'il n'eût voulu être que poëte! Il a fait plusieurs tentatives pour retourner ici; mais le Roi n'a pas voulu entendre parler de lui; il avait employé, pour faire sa paix, la margrave de Baireuth et la duchesse de Saxe-Gotha. Maupertuis a écrit ici que sa santé était entièrement rétablie; je souhaite que sa tranquillité le soit aussi. Mais du caractère dont il est, j'ai peine à le croire; je crains bien qu'il ne soit éternellement la victime de son amour-propre. Avec un peu plus de douceur, il eût eu à Berlin, parmi les gens de lettres, le rang de dictateur; il n'a eu que celui de tribun; il a cabale, et a été la dupe de ses cabales.

Si vous ne venez pas à Berlin ce printemps, je crains bien de n'avoir jamais le plaisir de vous voir; ma santé s'affaiblit tous les jours de plus en plus, et je me dispose à aller faire bientôt mes révérences au Père éternel; mais tandis que je resterai dans ce monde, je serai le plus zélé de vos admirateurs.


a Voltaire était alors a Colmar.