2. AU COMTE DE MANTEUFFEL.
Potsdam, 2 décembre 1782.
Monsieur,
Il n'y a rien au monde qui flatte plus l'amour-propre et la présomption d'un jeune homme que de lui demander son sentiment sur de certains sujets. Il ne se fait pas prier pour le dire, et, d'un ton décisif, il vous prononce une sentence dont il ne serait pas permis d'appeler. C'est le défaut le plus commun aux gens de mon âge : l'on se presse pour décider; l'on n'examine pas la chose ou la question agitée; l'on se croit infaillible, et l'on s'érige en juge de tous les différends, de tous les ouvrages d'esprit, des critiques, enfin de toute chose dans le monde.
Vous me jetez une amorce, monsieur, si je ne me trompe, et vous ne m'envoyez cette observation sur les écrits modernes que pour voir si j'en déciderai aussi légèrement que je l'ai fait de la traduction de la République Bobine. Permettez que je vous trompe dans votre attente, et que je ne lise ce livre que dans l'intention dans laquelle on devrait lire tous les livres, pour s'instruire et en faire usage.
Le poëme du Vert-vert me paraît, comme à vous, plus divertissant pour ceux qui connaissent les coutumes monacales que pour ceux qui ne sont pas instruits de toutes leurs minuties.
La critique des Lettres philosophiques de Voltaire m'a assez plu; mais il semble que si elle avait été plus circonstanciée, elle aurait été plus agréable. Je crains de m'engager dans la discussion de cette matière, et, par là, de vous faire parvenir à votre but, qui est de me tenter. Le diable ne se dément jamais, et si vous n'êtes pas descendu en droite ligne de celui qui jadis induisit notre bon père Adam, du moins devez-vous être de la ligne collatérale.
Quel beau champ ne se présente pas pour faire l'énumération de ceux ou de celles dont vous avez triomphé! Je craindrais ou d'être indiscret, ou de me rendre fâcheux en le faisant, et je finis par un trait de sermon : C'est à vous, mes frères, à faire l'application de mon discours, et à votre conscience à vous dicter si vous