<438>prévenu dans une réflexion que j'avais déjà placée dans mesdites additions, ce qui me donne véritablement de l'orgueil, puisque je vois que j'ai su penser une fois comme vous, monseigneur, c'est-à-dire, de la manière du monde la plus juste. C'est la réflexion que V A. R. fait sur la nature de la plupart des vertus humaines, et sur leur apparence souvent très-fausse. Cette idée n'est rien moins que fausse, ni tant paradoxe qu'on le dirait bien. Elle est fondée dans la raison, et, pour ainsi dire, dans celle masse de limon dont il a plu au Créateur de nous pétrir tous tant que nous sommes. Il n'y a pas d'homme au monde qui ne soit obligé d'en convenir, pourvu qu'il ait assez de force (ce qui est pourtant plus rare qu'on ne pense ordinairement) pour se dépouiller de tout amour-propre, et pour fouiller sans prévention dans les plis intérieurs de son cœur.
J'ai peut-être tort d'envoyer à V. A. R. les additions en question. Je comprends, après tout ce qu'elle daigne me mander, qu'elle n'y trouvera rien de nouveau, et qu'elle pense infiniment mieux que moi sur tout ce que j'ai cru y devoir placer. Mais enfin, la dépense en étant faite, je prends la liberté de les joindre ici, au risque que, effrayée de leur volume, V. A. R. les jette au feu sans les lire. J'ose cependant l'avertir en tout cas qu'elle n'y en jetterait que la moitié, et que j'ai des matériaux tout prêts à être ajoutés à cette rapsodie dès que je saurai qu'elle désirera les voir. Ils seraient même déjà mis en œuvre, et actuellement entre vos mains, monseigneur, si votre dernière lettre n'était venue à la traverse, et qu'elle ne m'eût appris que vous partiez pour Potsdam, où je n'ai pas cru vous devoir importuner des miennes. La morale dont nous nous sommes entretenus jusqu'ici est ordinairement déclarée contrebande dans les domaines de Bellone.
En cas que V. A. R. daigne jeter un regard sur ces additions, je crois devoir l'avertir que le raisonnement qui s'y trouve allégué est effectivement une espèce de prologue d'une instruction qu'une dame de nos parentes me donna, il y a quarante et tant d'années, quand feu mon père m'envoya dans le grand monde. L'instruction elle-même était encore plus curieuse que le discours préliminaire; mais je n'ai pas eu l'attention de la conserver. Je n'ai pas ici les œuvres de Bussy-Rabutin qui contiennent l'histoire de