<448>aussi sûre que je le suis de vivre que ce péché sera toujours en vous un péché inévitable, et que tout ce qu'on pourrait vous dire là-dessus ne vous empêcherait pas de le commettre,a avec précaution que de vous guider en aveugle. Le mal en sera moins grand, et c'est beaucoup lorsqu'il est impossible de le guérir radicalement. La guerre, par exemple, est regardée et de Dieu, et des hommes, comme la chose du monde la plus détestable; mais la nature du genre humain ne lui permettant pas de vivre toujours en paix, Dieu lui-même, par un principe tout pareil, a enseigné à son peuple l'art de faire la guerre avec moins de danger.
Enfin, mon cher fils, du tempérament dont Dieu vous a créé, vous aimerez le sexe autant que vous serez au monde. C'est un mal que vous ne pourrez ni ne voudrez jamais éviter. Il s'agit seulement de vous apprendre les moyens d'aimer sans tous ces risques que courent ordinairement ceux qui vous ressemblent. Ariane, dont vous avez lu la fable, eût fort souhaité de détourner Thésée du dessein de s'engager dans le labyrinthe; mais ayant compris que c'était une nécessité absolue qu'il s'y exposât, elle lui enseigna le secret d'en ressortir, et Thésée lui fut redevable de la vie.
J'en userai de même à votre égard. Je tâcherai de vous empêcher de vous égarer dans le labyrinthe où je ne puis vous empêcher d'entrer.
Toutes les leçons qu'on vous a données pour vous faire abhorrer l'amour étant autant de peines perdues, il faut vous traiter comme on traite un enfant qui apprend à marcher seul. On ne se contente pas de lui défendre de tomber et de lui en exagérer le danger. Etant sûr qu'il n'en tomberait ni ne s'en blesserait pas moins, on prend en même temps le soin de le munir d'un casque qui, sans le préserver des chutes, le garantit au moins d'une partie des maux qu'il pourrait se faire en tombant. Tout de même j'essayerai de vous mettre en état de tomber sans trop de risque.
C'est dans cette vue que j'ai dressé le présent mémoire. Je vous l'offre comme la plus grande marque que je puisse vous donner de ma tendresse, persuadée que je suis que si vous voulez bien vous en souvenir dans les occasions, vous trouverez tous mes avis fondés dans le bon sens, et que cette même passion qui ferait indubitablement votre malheur, si vous vous y adonniez en étourdi, ne vous en causera aucun, si vous la contentez suivant les règles que je vous recommande.
a Le manuscrit présente ici une lacune.