<452>devient une vertu chrétienne, puisée dans les notions que nous tirons de la révélation.
3o Je crois avoir assez clairement démontré que la justice que Charles VI rendit, selon Bussy, à Bureau de La Rivière, et les bons offices que Clisson rendit à cet innocent prisonnier, ne leur font pas un honneur fort extraordinaire. J'ose y ajouter que si nous considérons cet événement du côté de Charles, l'histoire ancienne et moderne contient mille exemples pour un de rois qui se sont fait un devoir d'écouter la vérité et de rendre justice aux opprimés. Et méritent-ils de régner, s'ils l'ont autrement? Sans en chercher des exemples parmi les chrétiens, Rollin nous en raconte un dans son Histoire ancienne, tome III, page 379, d'Hiéron, roi de Sicile, prince qui d'ailleurs n'était pas toujours également vertueux. « Hiéron, dit-il d'après Plutarque, Hiéron disait que sa maison et ses oreilles seraient toujours ouvertes à quiconque voudrait lui dire la vérité, et qui la lui dirait avec franchise et sans ménagement. » A quoi le même auteur ajoute qu'il paraît en effet que ce prince donnait celte liberté à ses amis.
Que si nous regardons la même aventure du côté de Clisson et de la noble hardiesse avec laquelle il prit le parti de son ami, l'auteur que je viens de citer nous apprend, quelques pages plus bas, que le même Hiéron, sans doute pour entendre d'autant plus de vérités, « avait fait de sa cour le rendez-vous des beaux esprits, et qu'il savait les y attirer par ses manières honnêtes et engageantes, et encore plus par ses libéralités, ce qui n'est pas un petit mérite pour un roi. »
Il est bon de noter que ces beaux esprits n'étaient pas de ces farceurs, de ces poëtes à la douzaine, ou de ces autres demi-savants pareils, que quelques empereurs romains, souvent très-ignorants, entretenaient à leur cour, soit pour se divertir, soit dans la fausse espérance d'acquérir par là la réputation d'aimer les lettres. C'étaient de bons philosophes, gens d'esprit et fort sages. Tels étaient surtout Simonide, Pindare, Bacchylide, Épicharme, qu'on met, à la vérité, au rang des poëtes, mais qui savaient quelque chose de plus que faire des vers, et dont les conversations libres et instructives étaient de beaucoup d'utilité à Hiéron. Simonide surtout, à qui ce prince semblait avoir donné toute sa confiance, lui disait souvent les vérités les plus hardies. Voici comment Rollin a traduit ce qu'en dit Xénophon : « Simonide, dit-il, lui donne (c'est-à-dire à Hiéron) d'admirables instructions sur les devoirs de la royauté. Il lui représente qu'un roi ne l'est pas pour lui, mais pour les autres; que sa grandeur consiste, non à se bâtir de superbes palais, mais à construire des temples, à fortifier, à embellir des villes : que sa gloire est, non qu'on le craigne (quelle beauté de sentiments!), mais qu'on craigne »