<456>et fit des merveilles en suivant les avis d'Aristide. L'action de celui-ci me paraît d'autant plus digne d'admiration, qu'aucun ordre supérieur n'y eut la moindre part, et qu'il n'avait qu'à rester dans une inaction sans reproche pour se venger du plus cruel de ses ennemis et en même temps de l'ingratitude avérée de sa république, en les frustrant de ses avis, sans lesquels tout serait allé de travers.
L'occasion de ces deux capitaines me fait souvenir d'un trait malin dont se servit Thémistocle contre Aristide, et que le premier ayant tant fait par ses brigues, que les Athéniens firent rechercher rigoureusement la conduite d'Aristide, et les amis de celui-ci ayant représenté au peuple qu'il n'avait absolument rien à lui reprocher, et que surtout le trésor public n'avait jamais été en meilleur état que sous son administration, Thémistocle monta sur la tribune pour réfuter cette justification. « Est-ce donc, dit-il entre autres choses, est-ce donc un si grand mérite que de n'avoir pas volé les deniers publics? J'ai chez moi un coffre qui les gardera encore mieux qu'Aristide. » Cette saillie, quoique assez plate à mon avis, fit rire le peuple, et Aristide fut exilé.
Je reviens à cette sage modération qui sait oublier les injures personnelles, étouffer les sentiments de vengeance en faveur du bien public. Je me remets, à propos de la modération de Catinat, deux anecdotes qui ne sont, à la vérité, que des bagatelles en comparaison de ce que nous venons d'entendre, et qui ne cadrent pas tout à fait au sujet dont il s'agit, mais qui partent à peu près de la même source. L'une, que j'ai lue je ne sais où, est du maréchal de Turenne. Ce grand capitaine commandait conjointement avec le maréchal de La Ferté dans les Pays-Bas. Celui-ci, jaloux du mérite de l'autre, naturellement hautain et emporté, ne laissait pas échapper d'occasion où il croyait lui pouvoir faire sentir son aversion. Un jour de fourrage qu'un valet de M. de Turenne fut arrêté pour quelque excès assez léger, M. de La Ferté se fit amener ce valet, et le fit rouer de coups; après quoi il le renvoya à son maître, sans l'accompagner d'aucun mot d'honnêteté. Toute l'armée crut que cette incartade serait suivie d'une brouillerie éclatante entre les deux chefs, quand M. de Turenne surprit et désarma son collègue par un tour d'esprit digne de lui. Il fit garrotter son valet, et le renvoya dans cet état par un de ses officiers à M. le maréchal. « Dites-lui, dit-il en dépêchant l'officier, dites-lui que je le remercie de la peine qu'il veut bien m'épargner de morigéner moi-même mes valets; que je le prie d'achever de punir celui-ci à proportion du forfait qu'il a sans doute commis; et que je lui enverrai avec plaisir tous ceux de mes domestiques qui mériteront à l'avenir d'être châtiés. » Le maréchal ayant senti toute la force de ce compliment et l'impossibilité de démonter le flegme de