<461>à son humeur mélancolique, et lui aura fait perdre le peu de jugement qui lui restait.
J'ai le malheur d'avoir des attaques d'hypocondrie, et j'ai été dans une prison bien rude;a je sais que le premier est un mal que l'on ne peut connaître à moins de l'avoir eu, et l'autre est une situation où il faut s'armer de toute la constance possible pour résister à l'ennui, à la solitude, et à la terrible pensée de la privation de la liberté.
Le comte de Hoym aura cru sûrement l'immortalité de son âme, sans quoi il n'aurait pas eu le cœur de se réduire au néant, et il faut espérer que le bon Dieu, qui est un Dieu de miséricorde, aura compassion de lui, en vertu de ce qu'il n'a pas tant péché par méchanceté que par tempérament. Je suis sûr, mon cher Quinze-Vingt, que votre cœur généreux sera charmé de voir l'apologie d'une personne qui fut jadis votre ennemi, et je m'attends à vous voir recueillir les cendres de son bûcher.
Le prince Eugène vient d'expirer,b après avoir joué aux cartes le soir avant son décès; j'aurais souhaité, pour l'amour de lui, qu'il eût été tué à Philippsbourg, car il faut préférer la perte de la vie à celle de la raison.
Adieu, mon cher Quinze-Vingt; je m'attends à vous voir le 12 à Berlin, à une décoration militaire. Je n'en serai pas moins avec une parfaite estime, etc
P. S. Je viens de recevoir par une estafette un ordre du Roi de me rendre demain à six heures à Potsdam voir exercer son régiment, et de m'en retourner le même soir pour revenir ici. Cela s'appelle se moquer des gens. Leur faire faire seize lieues, pourquoi? - Pour voir. - Et quoi? - Rien.
a Voyez t. XXII, p. 279.
b Le 21 avril 1736. Voyez t. I, p. 192 et 197.