<478>Je réserve pour Rheinsberg la lecture de la lettre de Jordan, et je me repose si fort sur vos décisions, que je ne doute pas qu'elle ne soit des plus agréables et des plus instructives.

Je viens à Gresset, le charmant auteur du Vert-vert. J'ai fait toutes les réflexions que vous me faites faire sur son arrivée; mais je vous avoue que l'idée de sa compagnie m'a fait affronter tous les obstacles. Je comprends de quelles personnes vous voulez parler, et l'épithète de stupide malignité les désigne si bien, que je les montrerais au doigt.

Je crains de n'avoir pas le plaisir de vous voir sitôt; c'est pourquoi je vous prie de me particulariser un peu, sous mots couverts, ce qui peut être transpiré jusqu'à vous de ces personnes. Je vous assure que vous n'avez rien à craindre de mon caquet, et, si vous le voulez, je vous renverrai la lettre que vous m'écrirez là-dessus, afin que vous puissiez la brûler vous-même. L'occasion de l'arrivée de Jordan serait assez sûre pour lui confier un tel dépôt; deux mots peuvent contenir tout ce de quoi il s'agit.

Si quelqu'un y perd que vous ne soyez pas de la coterie de Rheinsberg, c'est moi, sans contredit; je souhaiterais que le temps de ces éternelles circonstances pût une fois finir. Si jamais j'ai voulu du mal à la prudence, je lui en veux en cette occasion, vu qu'elle me prive de votre compagnie.

A l'égard de vos vers, il me semble que

Tu te sers, il est vrai, dans tes vers, de mes rimes;
Mais, changeant finement le tour, l'expression,
Tu me fais avouer, à ma confusion,
Que, si je les ai faits, c'est toi qui les relimes.

Je m'en vais partir à présent pour me rendre à Rheinsberg. Je suis charmé de ce que vous avez approuvé la distribution de mon temps; je tâche de l'employer aussi utilement et aussi agréablement que je le puis. Me préparant à recevoir le Gast royal qui me viendra un de ces jours,a je tâche, afin qu'il ne se repente pas d'avoir fait le voyage, de porter toutes mes attentions à ce qui lui peut faire plaisir, et j'espère que l'effet répondra à mes soins.


a Frédéric-Guillaume Ier se rendit pour la première fois à Rheinsberg le 4 septembre 1736. Voyez le Journal secret du baron de Seckendorff, p. 148 et 154. Le Roi n'y retourna qu'une seule fois.