<92>entrer avec moi dans quelque détail sur cette grande question, je penserais, Sire, sauf votre meilleur avis, qu'il faut distinguer les erreurs transitoires et passagères des erreurs permanentes. Il est hors de doute qu'on peut et qu'on doit peut-être se permettre de laisser au peuple une erreur passagère pour un plus grand bien, ou pour éviter un plus grand mal; et V. M. en apporte des exemples incontestables. Les erreurs permanentes feraient plus de difficultés, et je ne sais s'il ne doit pas y avoir toujours plus d'inconvénient que d'avantage à les entretenir. Mais cet objet demanderait de grandes discussions, et c'est pour cela que je désirerais devoir cette question proposée à tous les philosophes de l'Europe par le plus philosophe des souverains.
V. M. a bien raison de dire que le parlement anglais ne l'est guère, et que sa conduite est celle d'une troupe d'insensés. Nous attendons avec impatience les nouvelles intéressantes de la fin de la campagne, qui, heureusement pour les ennemis de l'Angleterre, et malheureusement pour l'humanité, ne sera pas vraisemblablement la dernière. L'ouverture du parlement est un moment intéressant, et nous verrons si l'Angleterre consentira à achever de se ruiner pour achever de dévaster et de dépeupler ses colonies.
Le sieur Tassaert, sculpteur, qui vient de m'écrire, me paraît plein de zèle pour le service de V. M., et de désir de mériter de plus en plus ses bontés. Je prends la liberté de les lui demander pour cet honnête et habile artiste, qui mérite un sort heureux par ses talents et par son caractère.
J'ai une proposition à faire à V. M., qui pourra lui être agréable. Elle m'a fait l'honneur de me parler, dans une de ses lettres, avec estime de l'ouvrage intitulé La Philosophie de la nature, dont l'auteur, M. Delisle, a été si indignement traité par les inquisiteurs du Châtelet. Ceux du parlement ont été plus doux à son égard; mais ce malheureux procès a détruit sa fortune; il aurait besoin, pour échapper au malheur qui le menace, de s'attacher à un protecteur philosophe, et il désirerait ardemment que V. M. voulût bien être ce protecteur. C'est un homme de trente ans, d'une figure noble et distinguée, d'une grande douceur de caractère, d'une grande honnêteté de principes et de