10. DU BARON DE GRIMM.
Paris, 22 septembre 1883.
Sire,
J'ai respecté tout le mois de juillet, parce que, sachant le Nestor des rois, qui en est resté l'Achille, entouré d'une partie de sa famille auguste, je me suis dit : Il ne convient point à un mortel obscur de percer dans cette retraite sacrée. Pendant le mois d'auguste, vulgairement appelé août par les Velches, je n'ai pas osé poursuivre le héros dans sa tournée en Silésie, de crainte de recevoir, comme l'année passée, une réponse datée de Breslau, et signée au milieu des travaux de toute espèce. Le mois de septembre est arrivé, et je n'ai pas voulu que ma lettre tombât au milieu des grandes manœuvres d'automne. Enfin, Dieu merci, les voilà passées; et comme V. M. n'a plus chose au monde à faire d'ici au printemps prochain, je puis arriver en toute sûreté avec ma lettre, et porter à vos pieds, Sire, avec mes vœux et mon hommage, le tribut de ma joie à l'occasion de l'accroissement qu'a reçu cet été la maison royale.384-a Ce ne sera pas un jour un petit sujet d'orgueil pour ces jeunes rejetons d'une maison auguste que de pouvoir se vanter, à la quatrième ou cinquième gé<347>nération, d'avoir eu, dans la régénération du saint baptême, pour caution de leur christianisme ce monarque puissant et révéré qui, après quarante-trois années de succès et de gloire, tenait encore d'une main ferme et sûre la balance des destinées des nations, et n'en était que meilleur chrétien, puisqu'il avait assez de crédit dans l'Église pour cautionner l'orthodoxie de tous ses petits-neveux.
Toutes les nouvelles. Sire, qui me sont venues cette année d'Allemagne me certifient que V. M. jouit de la santé la plus florissante. C'est bien heureusement encore servir d'exemple et de modèle aux héros et aux grands hommes, car il n'y a qu'une longue et brillante carrière qui puisse donner quelque stabilité aux choses humaines.
La signora Todi385-a me mande qu'elle aura le bonheur de contribuer à l'amusement des loisirs de V. M., et je la félicite de cet emploi glorieux d'un talent précieux et rare; je lui pardonne même toutes les lettres de recommandation qu'elle m'a fait écrire inutilement en Russie et ailleurs, où elle comptait porter ses pas. Tout mon chagrin, c'est de n'avoir aucune espérance de l'entendre chanter cet hiver à l'Opéra de Berlin.
Je suis, etc.
384-a Il s'agit du prince Guillaume, fils du Prince de Prusse, né à Potsdam le 3 juillet 1783, et baptisé le 10 du même mois, mort le 28 septembre 1801.
385-a Marie-Françoise Todi, née en Portugal en 1748, chanta à Berlin dans les deux opéras d'Alessandro e Poro de Graun, et de Lucio Papirio de Hasse, aux mois de décembre 1783 et de janvier 1784; mais, n'ayant pas plu au public, elle partit peu de temps après. Elle mourut en Italie en 1812.