18. AU BARON DE GRIMM.
Potsdam, 11 mai 1785.
Je vous suis fort obligé de la lettre de M. de Condorcet que vous m'avez envoyée, dont je vous remets la réponse, que vous voudrez bien lui faire tenir. Il me semble que les beaux-arts et les belles-lettres éprouvent un destin pareil en Europe à celui qu'elles ont éprouvé à Rome après le beau siècle d'Auguste, où la médiocrité succéda aux talents. Après avoir poussé la partie des belles-lettres à leur perfection, la nation, comme rassasiée des chefs-d'œuvre dont elle jouit, commence à s'en dégoûter; alors le néologisme commence à détériorer le langage, qui a été poussé à une certaine perfection; la sévère âcreté de l'esprit philosophique combat l'effervescence de l'imagination, et le génie, resserré dans des bornes trop étroites, ne fournit plus que des productions médiocres. Je vous remercie de m'avoir fêté sur mon vieux jour de naissance. Je ne suis que trop vieux. Il faut que chacun vive jusqu'au terme qui dévide tout le chapelet de sottises que le destin l'a condamné à faire dans ce monde. Selon le défunt prince de Deux-Ponts, il n'y avait de salut qu'à Paris; il faut donc nécessairement que ceux qui vivent ailleurs végètent dans le purgatoire ou dans les limbes. Si vous trouvez à redire à ce sentiment, vous n'avez qu'à vous en prendre au feu prince de Deux-Ponts, et si vous vous trouvez trop faible pour attaquer cette famille, vous n'avez qu'à vous joindre à l'Empereur, avec lequel vous avez été à Spa; il vous assistera volontiers de toutes ses forces pour vous donner gain de cause. Sur ce, etc.