<254>Notre neveu est allé aujourd'hui assister à un fourrage. Il commence à s'éveiller; mais nous ne sommes que des pygmées en comparaison de lui. Imaginez-vous le prince François, mais plus grand encore; voilà comme il est à présent.
J'ai reçu, ces jours passés, un beau présent de M. Krassnakoff, que ni vous ni moi ne connaissons; il consiste en deux dromadaires chargés d'une lente tartare, et en deux chevaux cosaques. Les dromadaires ont attiré ici une foule prodigieuse, excitée par la curiosité de voir ces singuliers animaux. Un empereur qui serait venu ici en personne n'aurait pas été plus considéré; le camp, le peuple, la noblesse, filles, femmes, enfants, tout est accouru; on n'a parlé huit jours que des dromadaires, à un point qu'ils auraient donné de l'envie à tous ceux qui veulent faire du bruit, et qui veulent que leur nom soit dans la bouche de tout le monde. Je suis tout glorieux de mon équipage asiatique, et je ne doute point qu'il n'ait un succès prodigieux partout où il passera. Je crois, mon cher frère, que cela ne vous touche guère, et que vous apprendriez avec plus de plaisir la retraite du prince de Stolberg, et mieux encore celle de Serbelloni. Je voudrais par des sortiléges vous la procurer, si cette belle science était aussi réelle que nos ignorants d'aïeux l'ont cru. Il faudra voir ce que le temps amènera, et si le ciel n'inspirera pas à nos ennemis l'envie de faire une grosse balourdise, une insigne sottise qui nous débarrasse d'eux. Je le souhaite de tout mon cœur pour vous, pour moi, et pour tout le peuple. Ainsi soit-il!
Adieu, mon cher frère; vous serez insruit de tout ce qui se passera ici, ou de ce que je puis prévoir ou conjecturer. Je vous prie de me conserver votre amitié, et d'être persuadé de la tendresse et de la parfaite estime avec laquelle je suis, etc.