<XII>qu'il adresse à son héros, le 28 novembre 1740,f avant de retourner en France, et où il encense le Roi, la Reine-mère et ses enfants, en un mot, tout ce qui avait excité son admiration à Berlin. Même dans ses moments de tristesse, Frédéric, parlant de ses plus chers amis et parents morts pendant son absence, surtout pendant la guerre de sept ans, exprime son appréhension de se retrouver seul dans ses palais à son retour,a et il garde sur sa femme un silence aussi complet que si elle n'eût jamais existé pour lui. Il va même, à ce qu'il semble, jusqu'à plaisanter sur son mariage, par exemple dans sa lettre à Voltaire, du 23 mars 1740 :

Les beaux-arts ont pour moi l'attrait d'une maîtresse;
La triste royauté, de l'hymen la rudesse;
J'aurais su préférer l'état heureux d'amant
A celui qu'un époux remplit si tristement.

Il écrit encore au marquis d'Argens, le 15 novembre 1757 : « J'ai le sort de Mithridate; il ne me manque que deux fils et une Monime; » et à l'électrice douairière de Saxe, le 8 août 1769 : « Salomon avait un sérail de mille femmes, et ne croyait point en avoir assez; je n'en ai qu'une, et c'en est encore trop pour moi. »

Malgré cet éloignement, Frédéric ne laissait pas d'éprouver pour la Reine une profonde estime, qu'elle avait su lui inspirer par sa conduite aussi délicate que digne et pure. Les éloges sentis qu'il donne aux vertus de cette princesse dans son mémorable testament du 8 janvier 1769b en sont une preuve précieuse, et adoucissent l'impression pénible que fait éprouver l'oubli dans lequel il laissa languir cette femme respectable.

Quoique la correspondance de Frédéric avec la reine Élisabeth ne puisse être comparée pour sa valeur intrinsèque à celles des volumes précédents, elle offre cependant un vif intérêt, à cause du jour qu'elle jette sur les rapports du monarque avec sa femme. L'esprit qui anime les augustes époux se reflète même dans la forme de leurs lettres. Celles de Frédéric, fort polies, cérémonieuses même, sont sèches et souvent glaciales. Les lettres de la Reine, au contraire, respirent un attachement tendre, mais timide et triste.

La correspondance qui nous occupe a été publiée pour la pre-


f Voyez t. XXII, p. 58.

a Voyez t. XVIII, p. 162, 176 et 208; t. XIX, p. 348, 349 et 425; t. XX, p. 312, 326 et 327; ci-dessous, p. 406.

b Voyez t. VI, p. 244, article 4.