9. AU MÊME.
Potsdam, 11 septembre 1746.
Mon cher frère,
Je ne m'étonne point que vous préfériez, à votre âge, la guerre réelle à celle que l'on fait dans son cabinet. Pour moi, je suis à présent pour cette dernière. L'autre nous coûte trop d'amis, trop de sang; elle est, à la longue, fatale à la partie victorieuse même, sans compter que l'on peut de sang-froid entendre décider sur le prince de Lorraine et sur le comte de Saxe, et que notre amour-propre n'a pas la même docilité sur les décisions qui nous regardent. J'ai fait la guerre avec des risques horribles pour l'État; j'ai vu ma réputation chanceler et se raffermir;105-a enfin, après avoir couru tant de hasards, je chéris les moments où je puis respirer. Quand on a la gloire de l'armée à cœur, on ne peut faire la guerre sans avoir l'esprit agité continuellement. L'on veut parer à tous les inconvénients, éviter jusqu'au moindre échec, et dérober par la prudence tout ce que l'on peut à la fortune. La vigilance et la capacité d'un homme ne suffisent pas pour embrasser des objets si étendus et si différents, et, après <91>tout, on ne fait la guerre que pour parvenir à la paix. Le prince de Lorraine est malheureux, cela suffit; chacun le contrôlera, chacun jettera sur lui la faute de ce qu'il n'est pas supérieur aux Français. Les Autrichiens font des retraites en Flandre, ils poursuivent les Espagnols en Italie; mais leurs victoires et leurs fuites les affaiblissent également, tandis que nous nous remettons de jour en jour. Laissons-leur la gloire de servir de canevas aux panégyriques des gazetiers, et jouissons des douceurs de la paix, qu'ils ne connaissent pas. Ma santé se rétablit de jour en jour, et si aucun accident ne m'arrive, je serai mardi à Berlin, où j'aurai le plaisir de vous embrasser, étant avec toute l'amitié et l'estime possible, etc.
105-a Voyez t. III, p. 121 et suivantes, et ci-dessus, p. 83.