28. AU MÊME.
Breslau, 22 décembre 1757.
Mon cher frère,
Comme je crois devoir satisfaire votre curiosité et le tendre intérêt que vous prenez à l'État et à la gloire de l'armée, je puis, à présent que je suis positivement instruit de tout, vous accuser au juste le détail de nos avantages. La perte de l'ennemi à la bataille consiste en six mille et quelques cents morts, enterrés par les paysans de Leuthen, de Lissa et de Gohlau; dix-huit mille <168>trois cent cinquante prisonniers, dont douze cents sont morts, depuis, de leurs blessures; cinq mille quatre cent cinquante de coupés, qui ont jeté leurs armes, et se sont sauvés en Pologne; cent vingt-trois canons, trois cent vingt-sept officiers, et à peu près seize cents hommes qui leur sont désertés sur la route de Trautenau. Total de leur perte : trente et un mille quatre cents. Nous avons pris dans la ville, selon le billet ci-joint,192-a sept cent quinze officiers; onze mille hommes portant les armes, consistant en quatre cent vingt cuirassiers et dragons, trois cents hussards, quatre mille trois cents Croates, Ogulins de la Save et Licaniens, et douze bataillons, cinq mille hommes, cinq mille blessés et malades; ce qui fait monter le total de leur perte à quarante-sept mille sept cent sept hommes. Nous avons pris ici douze drapeaux, qui font, avec ceux de la bataille, soixante-trois; cent soixante-dix artilleurs et dix-sept pièces de vingt-quatre, dix obusiers, six mortiers et huit pièces de trois livres qu'ils ont menés ici; leur caisse de guerre consistant en soixante-trois mille florins; et vingt-deux de nos canons, qu'ils avaient pris sur le prince de Bevern. Fouqué, qui nettoie les montagnes, leur a fait, à ce qu'il m'écrit, un grand nombre de prisonniers, entre autres, le général Schreyer des hussards. Demain nous marchons sur Liegnitz, qu'ils ont accommodé, et qu'ils évacueront ou que nous prendrons encore. Je les tiens bloqués par ma cavalerie. Il me sera impossible de prendre Schweidnitz, vu la rigueur de la saison; nous avons déjà tenté l'impossible pour réussir ici, ayant poussé nos sapes à cent pas du fossé, en travaillant dans la terre gelée d'un pied et couverte de quatre pouces de neige. Werner a chassé Simbschön de Neustadt, et leur a enlevé un petit magasin. En un mot, la fortune m'est revenue; mais envoyez-moi les meilleurs ciseaux que vous pourrez trouver, pour que je lui coupe les ailes. Ayez la bonté de communiquer toutes ces nouvelles au cher Seydlitz, qui, j'en suis sûr, y prend une part sincère. Ajoutez de ma part que je lui défends de sortir avant que ses plaies soient guéries, et qu'il ne doit point monter à cheval sans en avoir la permission de la Faculté.
Je suis malade de la colique depuis huit jours; je n'ai ni som<169>meil ni appétit; mais je supporte et maladies et fatigues gaîment, puisque, grâces au ciel, les affaires vont bien. J'ajoute à ma longue lettre des extraits de lettres d'officiers interceptées, par lesquelles vous jugerez que je ne fais point le fanfaron, et que tout ce que je vous écris est simple et conforme à la plus exacte vérité. J'ai oublié de vous parler de nos pertes; nous avons eu positivement neuf cent trente morts et trois mille neuf cents blessés à la bataille; le siége nous coûte les capitaines Schweinichen et Weyher de Charles, et trente hommes, les compagnies franches y comprises. Adieu, mon cher frère; j'espère que vous serez content de moi, et que je vous enrôlerai dans la bande des généraux audacieux et entreprenants, ce que je souhaite de tout mon cœur pour le bien de l'État, étant, etc.
Vous pouvez communiquer ces particularités au maréchal Keith, à ma sœur de Baireuth, et à qui vous le jugerez à propos. Il ne sera pas mauvais de les faire parvenir à vos officiers français, pour que cela passe en France par leur canal, et qu'on y apprenne la vérité.
192-a On n'a pas retrouvé ce billet.