134. DU PRINCE HENRI.
Freyberg, 29 octobre 1762.
Mon très-cher frère,
C'est un bonheur pour moi de vous apprendre l'agréable nouvelle que votre armée a remporté aujourd'hui un avantage considérable sur l'armée combinée des Autrichiens et de l'Empire. Je suis marché hier au soir; j'ai trouvé l'armée ennemie en marchant par Wegfurth, laissant le Spittelwald à gauche, pour tomber sur la hauteur de Saint-Michel. J'ai fait deux attaques et deux fausses; l'ennemi a fait une résistance opiniâtre, mais la valeur soutenue de vos troupes a prévalu, et après un feu de trois heures, l'ennemi a été obligé de céder partout. J'ignore le nombre des prisonniers, mais cela doit passer les quatre mille; l'armée de l'Empire n'a quasi rien perdu; tout l'effort est tombé <258>sur les Autrichiens. Nous avons quantité de canons et de drapeaux. Le lieutenant-général Roth, de l'armée de l'Empire, se trouve au nombre des prisonniers. Je compte que nous avons perdu environ deux à trois mille hommes, parmi lesquels il n'y a aucun officier de marque.
Le lieutenant-général de Seydlitz a rendu les plus grands services; les généraux Belling et Kleist ont fait de leur mieux.
Toute l'infanterie a fait merveille; il n'y a pas un bataillon qui ait plié. Mon aide de camp,295-a qui vous présentera ma lettre, a été chargé d'aider à conduire l'attaque par le Spittelwald; si, en cette considération, vous vouliez avoir la bonté de l'avancer, j'aurais de très-humbles grâces à vous rendre.
J'ai bien des officiers pour lesquels je vous prierai, qui se sont distingués et comportés avec courage.
Vous me permettrez que je fasse payer ceux qui ont pris les drapeaux et les canons.
L'ennemi se retire vers Dresde et Dippoldiswalda. J'envoie cette nuit à leurs trousses. J'attendrai les nouvelles que je recevrai, pour me conformer en conséquence. Mon aide de camp est au fait de tout, et pourra vous rendre compte de tout ce que vous pourrez désirer savoir relativement aux circonstances présentes.296-a
L'ennemi n'a rien détaché de l'autre côté de l'Elbe. Ils ont voulu m'attaquer comme demain, mais à cette heure ils n'y pen<259>seront guère. Le général Wied passera demain, je crois, l'Elbe; cela viendrait fort à propos pour moi.
Je suis avec tout l'attachement, mon très-cher frère, etc.
295-a Le capitaine de Kalckreuth, né en 1737, créé comte depuis, et promu au grade de feld-maréchal le 3 juin 1807, mort en 1818.
296-a Le feld-maréchal comte de Kalckreuth dit dans ses Souvenirs : « Le Roi fit une critique amère de la campagne du prince, en partie assez fondée, ajoutant itérativement : Cela ne vous regarde pas; il n'y a pas de votre faute; je sais que vous faites tout ce que vous pouvez pour empêcher les mauvaises mesures. Je palliai ce que je pus, ordinairement en vain. Cette conversation assez pénible, dont jamais je n'ai fait un mot de mention au prince, quoique le Roi m'en répétât fréquemment l'ordre, dura une heure, au bout de laquelle le Roi me congédiait très-gracieusement, me conduisant jusqu'à la porte; et, me l'ouvrant, il me dit à l'oreille, quoiqu'il n'y avait personne dans la chambre : Je vous ai fait major. » Voyez Minerva, ein Journal historischen und politischen Inhalts, von Dr. Friedrich Bran. Jena, 1839, t. CLXXXIX, p. 360 et 361. Le passage des Souvenirs du comte de Kalckreuth que nous venons de citer a son correctif dans la Vie privée, politique et militaire du prince Henri, p. 146, et dans notre t. V, p. 230-239.