163. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 10 septembre 1763.
Mon très-cher frère,
Privé depuis longtemps du bonheur de vous faire ma cour en personne, je me serais du moins donné la satisfaction de vous écrire plus souvent; mais la stérilité des matières dans un endroit écarté comme celui-ci, jointe à quelques incommodités, lesquelles ne m'ont point, à la vérité, empêché de sortir, mais elles influent trop sur mon humeur, ces raisons, dis-je, seront suffisantes pour vous prouver que la discrétion seule m'a retenu de vous adresser mes lettres, par l'appréhension que j'avais qu'elles ne vous seraient pas agréables. Je voudrais beaucoup que les sujets sur lesquels j'ai à vous entretenir le pussent être. Le premier, à ce que j'augure, sera sur un faiseur de projets; j'en juge ainsi parce que celui qui m'écrit la lettre ci-jointe de Genève, en m'adressant pour vous le paquet que j'ai l'honneur de vous re<283>mettre, m'est absolument inconnu; si vous daignez jeter un coup d'œil sur l'objet de ses recherches, vous verrez certainement d'abord si mes soupçons sont fondés.
L'autre sujet qui me donne l'agrément de vous écrire me donne encore l'agrément de vous demander votre assistance; c'est en laveur d'un gentilhomme que ma sœur de Baireuth, dans son voyage en Italie, prit avec elle pour le faire élever. Le père est consul dans une petite ville d'Italie, et se nomme Paléologue; il prétend descendre du dernier des empereurs qui portaient ce nom. Feu ma sœur a fait prendre beaucoup de soin du jeune Paléologue, lequel a, à cette heure, vingt et un ans. Sa physionomie n'est pas prévenante. Il a refusé d'être placé comme officier dans les troupes autrichiennes; le margrave de Baireuth à cette heure régnant a refusé de lui donner de l'emploi à cause de la religion catholique, contre laquelle il pourrait se sentir quelque aversion sans la faire tomber sur ceux qui la professent. Ma nièce la margrave de Baireuth a, par considération pour feu ma sœur, entretenu le jeune Paléologue jusqu'aujourd'hui; mais croyant que je pourrais vous le présenter, elle me l'envoie, et elle espère que l'amitié que vous avez eue pour feu ma sœur s'étendra sur ceux qu'elle a protégés, et que vous daignerez donner une place d'enseigne au jeune Paléologue. En tout cas, je vous supplie de m'apprendre ce que j'en dois faire.
Vous m'avez permis d'oser en agir librement avec vous; c'est en conséquence de quoi je suis obligé de vous avouer que j'ai un grand désir de vous faire ma cour; si cela vous agrée, et que vous ayez des bontés pour moi, je vous prie de me dire où et quand je pourrais avoir ce bonheur. Vous me permettrez bien ensuite de revenir ici, n'étant attaché à rien à Berlin. Le souvenir du passé m'afflige beaucoup, et la vie qu'on y mène me paraissant assez insipide, c'est pourquoi je vous avoue franchement que je n'aime pas à y être. Cela n'empêche pas que je me conformerai en tout à vos volontés, et que je me trouverai heureux de vous en donner des preuves sûres, même aux dépens de mon inclination. Je suis, etc.