198. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 16 juin 1769.
Je suis dans la joie de mon cœur de savoir votre retour, mon très-cher frère. L'intérêt que je prends à votre santé doit vous être connu; je réprime tout ce que je pourrais dire à ce sujet, et enferme dans mon cœur les plus tendres souhaits pour votre prospérité.
Vous daignez m'apprendre des nouvelles bien intéressantes; les Français malmenés en Corse, un Paoli359-b qui résiste à la puissance d'un Roi Très-Chrétien, fait un événement intéressant dans l'histoire. La disgrâce arrivée à M. de Vaux pourrait bien rejail<315>lir sur le duc de Choiseul; ses ennemis attribueront aux méchantes mesures qu'il a prises tout le malheur arrivé aux troupes françaises, et je m'imagine que cette aventure pourra beaucoup faire pour qu'il soit culbuté de l'éminent emploi qu'il occupe, et de la place qu'il a tenue jusqu'à ce temps avec aussi peu d'honneur pour lui que pour son souverain. Il paraît que ses intrigues en Suède359-c sont les seules qui ont pris une tournure heureuse pour lui; la France a toujours maintenu son parti dans ce royaume depuis l'époque de Gustave-Adolphe; actuellement ils ont entièrement le dessus. C'est une prospérité à laquelle ma sœur n'est pas habituée; je crains avec vous, mon très-cher frère, qu'elle ne se laisse emporter par la fortune. Il est très-difficile de savoir s'arrêter lorsqu'elle est favorable; c'est peut-être un des plus grands efforts de l'esprit humain, lorsqu'on sait se contenir dans le bonheur. J'espère que ma sœur aura cet empire sur elle; mais je le souhaite plus que je n'ose le croire.
Vous ne vous intéressez guère, mon très-cher frère, au chef que l'Église vient de nommer. C'est un pauvre moine, à ce qu'on dit; on prétend que son esprit est très-borné. Le Saint-Esprit l'éclairera sans doute; il faudra en juger par la conduite qu'il tiendra à l'égard des volontés des couronnes, et s'il aura la complaisance d'abolir l'ordre des jésuites. Je l'espère, car cela pourrait peut-être les conduire à souhaiter un établissement dans vos États, et à y faire couler une partie de leur richesse.
Comme je ne puis autre chose que souhaiter pour le bonheur de votre règne, il faut donc m'y borner; du moins je le fais du fond du cœur, m'intéressant à votre gloire par le sentiment rempli du plus tendre attachement avec lequel je suis, etc.
359-b Voyez t. XIV, p. XVI, et t. XVIII, p. VIII et 305.
359-c Voyez t. XXIV, p. 498.