<380>

14. A LA MÊME.

Le 11 septembre 1772.



Ma très-chère sœur,

Je suis bien fâché que vous distinguiez si mal vos amis de vos ennemis. Moi qui vous parle avec franchise, et qui vous la dis dans un moment où l'illusion d'un bonheur précaire vous aveugle sur les suites de cette révolution,a vous croyez que c'est mauvaise volonté de ma part. Non, ma chère sœur; si votre bonheur était solide, je serais le premier à vous en féliciter, mais les choses en sont bien éloignées. Je vous envoie ici la copie de l'article de notre garantie, tel qu'il a été signé à Pétersbourg, et j'y ajoute même que si je ne puis trouver des expédients pour calmer les esprits, je remplirai mes traités, parce que ce sont des engagements de nation à nation, et où la personne n'entre pour rien. Voilà ce qui me met de mauvaise humeur, de voir que, par l'action la plus téméraire et la plus étourdie, vos fils me forcent de m'armer contre eux. Ne pensez pas que mon ambition soit tentée par ce petit bout de la Poméranie, qui certainement ne pourrait exciter au plus queb la cupidité d'un cadet de famille; mais le bien de cet État exige nécessairement que je demeure lié avec la Russie, et je serais justement blâmé par la postérité, si mon penchant personnel l'emportait sur le bien du peuple auquel je dois tous mes soins. Je vous dis, ma chère sœur, les choses telles qu'elles sont, et je ne pronostique que des infortunes; car si cela en vient à une guerre, comme je l'appréhende beaucoup, qui vous répondra qu'une partie de votre armée suédoise ne passera pas du côté des Russes? et qui vous garantira que cette nation, dégradée comme elle l'est, ne leur livre pas son roi? Enfin il y a cent malheurs de ce genre à prévoir, qui me font frémir pour vous, tandis que je ne vois aucune puissance en état de vous assister et de vous secourir.

Veuille le ciel que je me trompe, et que vous soyez heureuse!


a Voyez t. VI, p. 53 et 54; t. XXVI, p. 409 et suivantes.

b Le mot que est omis dans l'ouvrage du baron Manderström, p. 10.