<58>Quant à vos petites dissensions domestiques, je connais assez par expérience ce qu'en vaut l'aune. Pour peu qu'un artisan soit habile, l'orgueil et l'impertinence s'associent à son savoir, et les indignes compagnons de son mérite font ordinairement souffrir le maître qu'il sert. Les prétentions augmentent à mesure que leurs fantaisies se croient autorisées par leur habileté, et leur cupidité ne trouve point de bornes. Avec ces belles qualités se mêle un grain de basse jalousie qu'ils honorent du titre de généreuse émulation. Cette généreuse émulation rend ordinairement ennemis jurés les rivaux de gloire, et voilà la guerre allumée.a On apaise ce feu pour un temps, mais on ne peut l'éteindre, et tôt ou tard il en faut venir à la séparation. Pour moi, je suis soigneux de les prévenir, et j'aime toujours plutôt les chasser que de dépendre de leurs caprices. M. Benda,b des enfants d'Apollon, est assez sage à présent, et je dois louer leur bonne conduite, quoique je sois sûr qu'elle ne sera pas de durée. Quantz part la semaine qui vient, et dans peu il sera à Baireuth. Que j'envie son sort! On est bien heureux, ma très-chère sœur, lorsqu'on peut vous voir, et on ne l'est qu'imparfaitement quand on ne peut que vous écrire.
Je suis avec tous les sentiments que vous m'inspirez si justement, ma très-chère sœur, etc.
58. A LA MÊME.
Remusberg, 23 novembre 1738.
Ma très-chère sœur,
Il m'est impossible de laisser partir Quantz sans vous assurer de mon tendre attachement. J'aurais bien envié le bonheur qu'il aura de vous rendre ses devoirs, si je ne me flattais encore de je
a Deux coqs vivaient en paix; une poule survint,
Et voilà la guerre allumée.
Fables
, liv. VII, fab. 13.b Voyez t. XXVI, p. 606.