3. AU MÊME.

Le 5 mai 1771.



Monsieur mon frère,

J'ai bien regretté que Votre Majesté n'ait pas passé ici dans des circonstances plus favorables pour lui faire passer son temps plus <75>agréablement. Pour moi, qui perds mes forces et mes facultés journellement, il ne me reste qu'un cœur sensible et une âme reconnaissante. J'ai été charmé de l'apparition que V. M. vient de faire ici, et j'en conserverai un souvenir pour la vie. Mais qu'il est dur de penser à un congé éternel! Il semble que V. M. ne s'est montrée que pour se faire regretter davantage; il faut l'aimer quand on a la satisfaction de la connaître, et en même temps il faut renoncer à la revoir jamais. Je ne doute point que V. M. ne soutienne la haute idée qu'elle a donnée ici, et partout où elle s'est arrêtée, de sa personne. Elle trouvera sans doute beaucoup d'obstacles à combattre dans le pays où elle va régner; mais qu'elle se souvienne que le monde attache le mérite aux difficultés vaincues. C'est une consolation quand on en trouve, et la seule peut-être dans la carrière dure et épineuse des gouvernements que nous avons à remplir. Si j'ai parlé avec franchise à V. M. de ses affaires de Suède, ce n'est, en vérité, que le tendre intérêt que je prends à sa personne qui m'a engagé à le faire; mes vœux ne sont que pour sa prospérité, et j'ai cru devoir lui indiquer les écueils qu'il y avait à redouter pour elle dans la situation délicate et critique où elle va monter sur le trône. Je ne doute point que sa sagesse saura lui faire éviter tout ce qu'il y a de dangereux, et que sa modération n'ajoute un nouveau lustre à sa gloire; j'aurai le plaisir d'applaudir à ses succès. En lui souhaitant toutes les bénédictions dont l'humanité est susceptible, je la prie de me croire avec l'estime la plus distinguée et la plus tendre, etc.