<41>ils le négligent. Le général ne fait pas mal de parler quelquefois guerre avec les généraux de son armée qui ont le plus de lumières; on les met sur des chapitres généraux, on entend leurs sentiments, et si, dans la liberté de la conversation, ils ouvrent un bon avis, il faut en profiter sans faire remarquer qu'on trouve la chose bonne; mais, lorsqu'elle est exécutée et qu'elle a réussi, il faut dire en présence de beaucoup d'officiers : C'est à monsieur un tel que je dois le succès de cette affaire. Vous flattez par ce moyen l'amour-propre des autres, vous les intéressez à l'avantage des affaires générales, et votre modestie, au lieu de vous attirer des envieux, vous gagne des amis.
Les Normands donnent une règle à leurs enfants : Défie-toi. - De qui? - De tout le monde. Ici c'est le cas de se défier de ses ennemis; il n'y a que des fous qui s'y confient. Mais quelquefois la sûreté vous endort, et je demande qu'un général veille toujours sur le dessein de ses ennemis; il est la sentinelle de son armée, il doit voir, entendre, prévoir et prévenir pour elle tout le mal qui pourrait lui arriver. C'est après les plus grands avantages qu'il faut être le plus défiant. On croit l'ennemi découragé, et vous tombez en léthargie sur toutes ses entreprises. Souvent un ennemi habile vous amuse par de feintes propositions de paix; ne donnez pas légèrement dans ce piége, et songez que ses intentions ne sauraient être sincères.
Il faut toujours raisonner sur la situation où l'on se trouve, et dire : Quel dessein formerais-je, si j'étais de l'ennemi? Après en avoir imaginé plusieurs, il faut penser aux moyens de les faire échouer, et surtout corriger sur-le-champ ce qu'il y a de défectueux ou dans votre position, ou dans votre campement, ou dans vos dépôts, ou dans vos détachements. Ces corrections doivent être promptes : les heures décident de beaucoup à la guerre, et c'est là que l'on apprend à connaître le prix des moments. Que tout ceci ne vous rende pas timide, car la hardiesse veut être jointe à la circonspection; et comme on ne peut jamais démontrer la sûreté d'une entreprise, il suffit de la bien disposer. L'événement doit se remettre à la fortune. Cela se réduit donc à prévoir et à éviter tout le mal que l'ennemi pourrait nous faire, et à lui donner tant d'appréhensions pour lui-même, que ces in-