<45>Vous affectez par votre contenance l'envie d'en venir aux mains, vous affichez les desseins les plus téméraires, et souvent l'ennemi croit qu'il n'en aura pas bon jeu, et se tient également sur la défensive de son côté.
Cette guerre consiste en partie dans l'art de prendre des postes et de ne les abandonner qu'à la dernière extrémité; votre seconde ligne se retire la première, et la première la suit imperceptiblement; et comme vous avez des défilés devant vous, l'ennemi n'a pas le moyen de profiter de votre retraite. Dans ces retraites même, vous choisissez des positions obliques qui donnent à penser à l'ennemi, et ses inquiétudes le rendent timide et vous conduisent indirectement à votre but.
C'est aussi une ruse que de présenter à l'ennemi beaucoup de têtes. S'il prend la fausse attaque pour la véritable, il est perdu. C'est par la ruse encore qu'on l'oblige à détacher, et qu'on tombe sur lui lorsque ces détachements sont faits. Une des meilleures ruses de guerre, c'est d'endormir les ennemis lorsqu'il est temps de séparer les troupes pour les quartiers d'hiver. On recule alors pour mieux sauter, et l'on distribue ses troupes de façon que l'on peut les rejoindre promptement. En tombant alors sur les quartiers de l'ennemi, on peut réparer dans quinze jours les disgrâces de toute une campagne. Lisez les deux dernières campagnes de Turenne, et étudiez-les souvent; c'est le chef-d'œuvre des ruses modernes.
Les ruses dont les anciens se servaient à la guerre sont devenues le partage des troupes légères. Celles-là font des embuscades, celles-là attirent leurs ennemis, par une fuite simulée, dans des défilés, pour les tailler en pièces. Les généraux modernes ne sont guère assez ignorants pour tomber dans ces sortes d'embuscades grossières; cela arriva à Charles XII, auprès de Poltawa, par la trahison d'un prince des Tartares,a et à Pierre Ier, au Pruth, par la trahison d'un prince de ce pays-là,a qui lui avait promis également des vivres, et ne put lui en procurer.
Comme j'ai déduit avec un assez ample détail ce qui regarde
a Mazeppa. Voyez t. VII, p. 89 et suivantes; ci-dessus, p. 9.
a Démétrius Cantemir. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXV, p. 220 et suivantes.