<73>Sardaigne est perdu, si quelque puissance ne lui fournit des subsides considérables. Reste donc à délibérer comment on attaquera la France, et de quel côté on lui portera le coup le plus sensible. Je crois que ce sera par la Flandre, comme j'en exposerai dans peu les raisons. J'assigne donc cent mille hommes pour attaquer les États du roi de Sardaigne par le Milanais; cette armée trouvera quatre-vingt-dix mille tant Sardois qu'Espagnols et Napolitains à combattre. J'assigne une seconde armée de cent dix mille soldats pour attaquer les Français dans l'Alsace; ceux-là trouveront devant eux quatre-vingt mille Français. La plus grande armée, composée de cent quatre-vingt mille soldats, je la destine pour la Flandre, non pas pour livrer chaque année un combat et prendre une couple de places, ce qui emporterait sept ou huit campagnes, mais pour pénétrer dans le cœur du royaume, s'avancer sur la Somme, et menacer en même temps la capitale.

Voici le but de ce projet : les Français, attaqués dans leurs foyers, abandonneront bientôt la Flandre pour défendre Paris; les places ne seront garnies que de milices qu'il serait facile de subjuguer, et peut-être affaibliraient-ils considérablement l'armée d'Alsace pour mieux secourir Paris, ce qui fournirait de ce côté-là aux alliés les moyens d'avoir de grands succès, tandis qu'on Flandre, avec un corps de quarante mille hommes, on pourrait prendre les principales forteresses qu'on a laissées sur ses derrières.

En vous faisant le détail de ce projet, je dois vous prévenir que, n'ayant jamais vu la Flandre, je me dirige par des caries qui peut-être ne sont pas exactes. Les magasins principaux de l'année doivent être formés à Bruxelles, Nieuport et Veurne; l'armée s'assemblera près de Bruxelles, et se portera sur Tournai, pour donner aux Français des jalousies sur Lille et sur Valenciennes. Il faut chercher à combattre l'ennemi, pour gagner sur lui une supériorité décidée, ensuite former le siége de Saint-Vinox,a et après, celui de Dunkerque, dans lequel on pourrait être assisté par la flotte anglaise. Ce sont à peu près les opérations qui rempliront toute la campagne, quoique, si cela était possible, il faudrait encore assiéger et prendre Gravelines.


a Bergues. Voyez, t. XXII, p. 48.