<89>faut sans doute beaucoup plus d'art pour éviter quelque fâcheuse malencontre. Il est impossible qu'avec trente mille hommes vous puissiez rétablir une espèce d'égalité entre les deux armées; si vous détruisiez même un détachement de dix mille hommes à l'ennemi, vous lui demeureriez toujours inférieur d'un nombre trop considérable de troupes pour parvenir à lui donner la loi, à moins que le général qui vous est opposé ne soit le plus inepte et le plus imbécile des hommes. Il ne vous reste donc qu'à prendre des postes inexpugnables partout où il y en a, à vous conserver surtout les issues et les derrières libres, à faire la guerre d'un partisan plutôt que d'un général d'armée, à changer de poste au besoin et à la première mine que l'ennemi fait de vous attaquer, à faire une guerre d'ostentation plutôt qu'une guerre réelle, à vous procurer tous les petits avantages que vous pourrez, pour vous faire respecter et pour modérer la fougue de l'ennemi, enfin à tirer parti de tout ce que votre industrie, votre imagination et les ressources de votre esprit vous fourniront de moyens et d'expédients pour vous soutenir. Les détachements que l'ennemi est en état de faire sont ce qu'il y a de plus fâcheux pour de petits corps; s'ils y opposent un détachement de leur petite armée, il ne pourra pas lui résister, et en même temps ils s'affaiblissent encore davantage. S'ils n'y opposent rien, ils risquent de se voir couper de leurs vivres ou de leurs communications. Il vaudrait mieux, si le détachement de l'ennemi se trouvait à une bonne distance de sa grande armée, lui tomber sur le corps avec tout votre camp, afin de le battre et d'intimider par là votre adversaire. Toutefois il faut convenir que cette position est fâcheuse et désagréable pour un général qui s'y trouve, et qu'il doit redoubler d'activité, de vigilance, de présence d'esprit et, s'il peut, d'industrie, pour s'en tirer à son honneur. Mais dans le premier cas que j'ai proposé, où il vous reste quarante-cinq mille hommes contre soixante mille, les difficultés ne sont point à beaucoup près aussi considérables, parce que, si vous n'avez pas assez pour attaquer les autres, il vous reste du moins assez pour vous défendre. Souvent l'ennemi, après quelques avantages qu'il vient d'avoir, devient présomptueux; il se croit sûr de sa fortune, il méprise le vaincu, et il se néglige;