I. ÉLÉMENTS DE CASTRAMÉTRIE ET DE TACTIQUE.[Titelblatt]
<2><3>ÉLÉMENTS DE CASTRAMÉTRIE ET DE TACTIQUE.
AVANT-PROPOS.
J'avais donné à mes officiers généraux, avant la dernière guerre,3-a une Instruction3-b qui alors me paraissait suffisante; mais l'ennemi, qui a senti le désavantage qu'il a eu envers nous les premières campagnes, a depuis perfectionné sa castramétrie, sa tactique et son artillerie. La guerre en est devenue plus raffinée, plus difficile et plus hasardeuse, parce que nous n'avons plus des hommes seuls à combattre, mais plutôt les précautions que la tactique enseigne, les postes forts et l'artillerie tout ensemble; cela seul nous doit obliger à étudier ces parties, pour conserver notre ancienne réputation et pour en acquérir une nouvelle. L'étude du terrain, en ce qu'il a d'avantageux et de défectueux pour s'en servir, est une des principales choses à laquelle un officier général doit s'appliquer, parce que toutes ses manœuvres à la guerre roulent sur des postes qu'il doit occuper avec avantage, sur des postes qu'il doit attaquer avec le moins de perle, sur des terrains où il doit se battre, soit faisant l'avant ou l'arrière-garde, et sur cette science qui apprend à se servir des troupes à propos pour les situations et selon les règles que l'expérience nous a enseignées.
<4>Ceux qui se persuadent que la seule valeur suffit à l'officier général se trompent beaucoup; c'est une qualité essentielle, sans doute, mais il faut y joindre bien d'autres connaissances. Un général qui maintient l'ordre et la discipline dans sa troupe est certainement louable, mais tout cela ne suffit pas à la guerre; il faut que le jugement agisse en tout, et comment agira-t-il, si les connaissances lui manquent? Qu'est-ce qu'un général qui ne connaît ni ce qu'un terrain a de favorable, ni de défectueux, et qui ne profite pas des aides que lui fournit le terrain? S'il n'a pas une bonne tactique en tête, ses dispositions d'avant-garde, d'arrière-garde, de marches, d'attaques et de défenses seront vicieuses, parce que son ignorance des choses sera cause qu'il y manquera des arrangements peut-être essentiels. Il y a des principes pour toutes ces choses; j'en indique les plus nécessaires, mais il faut se donner la peine d'y puiser soi-même, et il faut s'exercer, pour qu'elles deviennent habituelles et faciles.
Nous devons étudier la castramétrie, la tactique, l'artillerie, et la manière de s'en servir la plus avantageuse.
Les généraux d'infanterie doivent s'appliquer à la cavalerie, et ceux-ci à ce qui regarde l'infanterie, parce que, lorsqu'ils sont détachés, ils en ont sous leurs ordres.
Je tâche de mettre l'armée dans le meilleur ordre qu'il m'est possible; mais qu'on pense bien que ce ne sont que des instruments qu'on prépare, dont les généraux doivent se servir, et que ces instruments, quelque bons qu'ils soient, ne sont utiles qu'autant qu'on en sait faire un bon usage.
Autant un général habile est excusable quand il a sous soi de mauvaises troupes, incapables d'exécuter ses dispositions, autant, j'ose le dire hardiment, nos généraux doivent perdre toute considération, si, avec des troupes si bien dressées, ils font des sottises par leur ignorance.
Il faut donc bien nous imprimer dans la mémoire que désormais nous n'aurons qu'une guerre d'artillerie à faire, et des postes à attaquer. Ceci exige une grande étude du terrain et l'art d'en tirer avec habileté tout l'avantage possible, tant pour l'attaque que pour la défense.
Les terrains avantageux pour l'infanterie et l'artillerie sont <5>les hauteurs, et surtout ces pentes douces qui forment une espèce de glacis naturel; leur feu est le plus meurtrier. Souvent ces douces pentes se trouvent dans des plaines, et il ne faut pas les négliger. Les bois, fortifiés de bons abatis, sont encore très-utiles. En général, l'avantage du poste consiste à ce qu'il oblige l'ennemi de se rompre pour venir à vous; soit que vous soyez derrière un ruisseau, ou derrière un abatis, c'est la même chose.
Les hauteurs, quand elles commandent à l'entour d'elles, ont un plus grand avantage, parce qu'elles privent l'ennemi de son canon, qui du bas en haut tire sans effet, parce qu'elles le privent de ses petites armes, dont il ne peut pas se servir s'il vous attaque, et parce qu'elles le privent de sa cavalerie, dont il ne peut faire aucun usage, et enfin, parce qu'elles obligent l'ennemi de se rompre en gravissant la hauteur, et c'est ce moment même où votre feu doit l'abîmer et combler sa confusion et sa déroute.
Celui qui assaillit doit faire, en revanche, attention à toutes les buttes de terre qui peuvent couvrir ses troupes qui attaquent contre le feu du poste; il ne doit négliger aucune hauteur susceptible d'y placer du canon; il doit tâcher d'entourer de feux croisés le point de l'armée ennemie qu'il attaque, autant que le terrain et les dispositions du corps posté le lui permettent, pour se procurer, si cela est possible, la supériorité du feu, bien soutenir ses attaques par son armée, qui leur sert de base, et, s'il y a moyen de diriger une de ses attaques à dos de l'ennemi, il ne doit pas négliger cet avantage, qui peut devenir décisif pour la victoire.
Comme cette matière demande un détail infini, on trouvera bon que, en exposant mon système, je le divise par articles, pour le traiter avec plus de méthode, quoique le plus brièvement que possible; et j'espère que mes généraux, s'étant bien imprimé ces principes, ne commettront désormais à la guerre aucune faute grossière. Ce serait la plus belle récompense de mon ouvrage.
<6>ARTICLE Ier. DE LA CASTRAMÉTRIE.
Un camp est un champ de bataille que vous prenez, parce qu'il le devient sitôt que l'ennemi vous attaque. Il faut donc appliquer tous vos soins pour vous y bien poster, pour vous y bien accommoder, pour ne pas vous exposer à être battu par votre faute. Les vrais principes, les règles pour se camper, doivent se puiser dans l'art de la défense des places.
Examinons ces règles. On choisit un emplacement avantageux, qui n'est commandé d'aucun côté, pour le fortifier. On prend un terrain qui domine, et non pas un bas-fond. On appuie cette forteresse ou sur une rivière, ou bien à un escarpement, et, faute de cela, on la munit d'ouvrages tout à l'entour. Ces ouvrages doivent se défendre mutuellement par des feux flanqués; ils doivent, de plus, être soutenus par des ouvrages qu'ils ont derrière eux, comme le chemin couvert par les contre-gardes, celles-là par les ravelins, et ceux-ci par les bastions. Les ouvrages du chemin couvert doivent avoir des feux qui balayent tous les chemins creux qui se trouvent à l'entour de la place et tous les bas-fonds, pour que l'ennemi ne se puisse glisser par aucun de ces endroits pour s'approcher à l'improviste des ouvrages sans être vu.
Un camp bien pris doit donc être occupé selon ces règles. Votre première ligne représente le chemin couvert, et votre seconde ligne les ouvrages qui le défendent. Votre ligne de défense doit avoir des angles saillants, et le terrain vous les marquera. Vous établirez toutes vos batteries de la première ligne à vous procurer des feux croisés ou en écharpe, ce qui double votre force. Vous appuierez bien vos flancs, et vous tâcherez de les rendre inattaquables, soit par des marais, des inondations, des bois où vous ferez des abatis de cinq cents pas de profondeur, des rivières, ou, manque de tout cela, de bonnes redoutes attachées à un bon retranchement.
En fortifiant les places, on tâche, autant qu'on le peut, de ré<7>duire l'ennemi à quelque point d'attaque; cela se fait par quelques angles saillants que vous poussez en avant, car jamais l'ennemi ne peut se fourrer dans des rentrants. Cette méthode est d'autant meilleure, que vous réduisez l'ennemi à venir, par nécessité, se fracasser la tête à l'endroit où vous avez préparé votre plus grande résistance et à l'endroit où vous pouvez concentrer toute votre attention.
Les meilleures places sont celles qui rétrécissent le plus le front de l'attaque, comme par des marais, des digues étroites par où il faut passer; l'avantage qu'elles ont consiste en la supériorité du feu que cette situation leur donne. Les meilleurs camps sont donc ceux où vous embrassez un large terrain, et où on ne peut vous assaillir qu'en passant, sur des ponts, des rivières non guéables, ou en traversant une chaussée, ou bien en passant une langue de terre qui ne donne à former que le front de peu de bataillons. Cela vous donne une supériorité de feu étonnante, et si l'ennemi est assez téméraire de venir à vous, il est à coup sûr abîmé et détruit avec tout ce qui passe le défilé. La seconde ligne est en toute occasion un bon soutien pour la première; cependant dans les plaines elle n'a pas la force que lui donnent les hauteurs et les montagnes, lorsqu'on lui fait occuper un terrain où elle domine la première ligne et oblige ainsi l'assaillant à remporter deux victoires avant de devenir maître du terrain.
ARTICLE II. DES CAMPS DE COLLINES ET HAUTEURS.
Après avoir établi ces règles générales, venons-en à une application plus précise. Si vous voulez occuper des collines qui versent dans des plaines sans être dominées de hauteurs quelconques à la distance de trois mille pas, placez votre première ligne à mi-côte, sur le glacis de la montagne, et la seconde sur la crête de la hauteur. Si l'ennemi peut parvenir à culbuter cette première ligne, il trouve alors de la plus dure besogne devant soi, qui est de dé poster la seconde; il a emporté le chemin cou<8>vert, et il faut incontinent qu'il livre un assaut aux ouvrages. Vous appuierez soigneusement vos ailes à de grands ravins, en les recourbant par derrière et formant un grand flanc. Vous observerez de placer votre première ligne de façon que chaque coup de fusil puisse porter jusqu'au pied du glacis, et que nulle part l'ennemi, en attaquant, ne puisse se couvrir derrière quelque pente roide, que tout soit vu, que le moindre chemin creux soit enfilé par les petites armes ou par le canon. Vous rangerez, pour cet effet, vos troupes, en les postant selon les sinuosités du terrain, et vous effacerez de votre mémoire toute ligne droite. Vous placerez votre cavalerie à l'abri du canon, derrière les deux lignes, de façon à pouvoir en faire avancer quelques escadrons et les employer, au cas que l'attaque de l'ennemi, dérangée par le feu d'infanterie et les cartouches, commence à plier. Lâchez alors, selon ma méthode, quelques escadrons, et ils détruiront et feront prisonnier tout ce corps qui vous attaquait. Le moment le plus avantageux pour votre défense est celui où l'ennemi monte pour vous assaillir; c'est le triomphe des petites armes et des canons chargés à mitraille, surtout si votre infanterie est rangée de manière que son feu plonge jusqu'au pied du glacis. Si votre poste a des angles, cela triple la défense, et si votre canon bat en écharpe, vous ne devez pas être embarrassé de repousser l'ennemi. Mais que votre infanterie ne poursuive point, qu'elle demeure ferme sur son terrain; s'il y a occasion de poursuivre, employez la cavalerie à cet usage. Votre avant-garde peut se placer sur la droite de l'armée pour couvrir ce flanc, l'arrière-garde à la gauche pour le même usage, et pour votre réserve, il faut la conserver soigneusement derrière le poste, comme une dernière ressource. Il faut toujours en avoir dans chaque poste à proportion de l'armée, et dans un petit corps, n'eût-on qu'un bataillon de réserve, il faut l'avoir, car des troupes fraîches qui surviennent dans une action ont un ascendant incroyable sur des troupes fatiguées qui vous attaquent. Voyez le plan no I.
<9>ARTICLE III. DES POSTES SUR LES HAUTES MONTAGNES.
Les postes sur les hautes montagnes ont des règles différentes que ceux que l'on prend sur des collines. Les hautes montagnes ont des hauteurs voisines séparées d'elles par des vallées de quinze cents, de deux mille pas de large; celles-là, où l'ennemi peut placer du canon, ne vous permettent pas d'occuper la mi-côte, parce que le canon foudroierait les troupes qu'on y place. Il faut donc se borner à garnir la crête de la montagne, comme nous avons l'ait au camp de Bärsdorf et de Stein-Seiffersdorf.10-a Ces sortes de positions demandent qu'on redouble d'attention pour assurer ses flancs, et qu'on veille avec autant de vigilance sur ses derrières que sur son front. Il faut bien connaître tous les chemins qui sont à dos de votre hauteur, tant pour pouvoir sortir de poste sans embarras que pour s'assurer surtout que l'ennemi ne tente de vous attaquer par derrière. S'il y a quelque hauteur dangereuse derrière vous, qui commande voire position ou vous en dispute la sortie, il faut l'occuper de nécessité, ne fût-ce qu'avec un bataillon dont on couronne la cime. Il faut, de plus, avoir des partis de cavalerie ou d'infanterie, selon la nature du terrain, pour battre nuit et jour toutes les routes par lesquelles l'ennemi pourrait venir sur vous.
Quant au poste même, il faut suivre le principe général que j'ai donné, et placer constamment la première ligne d'infanterie de façon que son feu plonge dans le fond. Les batteries doivent être pioche du bord du précipice, et, autant qu'il est possible, placées de façon que leur feu se croise; mais comme dans ces montagnes il est souvent impossible que le canon plonge dans les fonds, je voudrais, sur le front, former de distance en distance des amas de grenades royales toutes chargées, qui, placées sur les glacis les plus accessibles du poste, pourraient être allumées et roulées en bas, sur l'assaillant assez téméraire pour hasarder <10>une telle entreprise. Quelque âpre que soit votre montagne, vous devez placer des troupes légères au fond ou à mi-côte, pour vous garantir de toute surprise, ainsi que sur vos derrières.
Un poste tel que je le décris est inexpugnable à la force, et l'on n'a qu'à craindre les surprises, et surtout les entreprises nocturnes. Ces troupes légères empêchent toute surprise, parce que l'ennemi ne saurait vous approcher qu'après les avoir délogées; leur feu vous avertit de l'attaque, et vous donne le temps d'abattre vos tentes et de vous mettre sous les armes. Faites alors jeter des Leuchtkugeln11-a pour vous éclairer, laites rouler vos grenades royales à l'endroit où se fait l'attaque, et faites tirer votre infanterie dans ces fonds, parce que votre feu et les grenades royales augmenteront chez l'ennemi la confusion et la terreur inséparable de toute entreprise nocturne.
Comme à la guerre on ne saurait jamais pousser la prévoyance assez loin, il serait bien bon de construire une caponnière pour chacune de vos gardes, ou bien une redoute palissadée, ce qui achève de rendre impraticables toutes les entreprises de l'ennemi. Voyez le plan no II.
ARTICLE IV. DES CAMPS DE PLAINE ET DE TERRAINS COUPÉS.
En choisissant un camp, votre première attention vous doit faire choisir un terrain qui domine, ou du moins qui n'est pas dominé; ensuite vous pensez aux appuis qu'il faut donner à vos flancs, bois, marais, ruisseaux ou rivières, précipices ou hauteurs. Si vous avez un bois sur votre flanc, faites-y faire un bon abatis, non pas d'arbres coupés et jetés au hasard, mais d'arbres rangés les uns auprès des autres, le tronc de votre côté et la couronne coupée du côté de l'ennemi. Devant ce véritable abatis, faites encore couper les arbres à cinq cents pas de profondeur, pour que tout soit clair sur votre flanc, et que l'ennemi n'ait pas <11>la liberté de se cacher dans cette forêt pour vous fusiller à deux ou trois cents pas. S'il se trouve un marais sur votre autre flanc, faites-le bien sonder, pour vous assurer qu'il est impraticable; alors vous pouvez vous y appuyer; mais ne vous fiez jamais aux apparences. Si votre appui est une hauteur, fortifiez-la de quelques redoutes jointes ensemble par un retranchement, mais bien fait, à fossé large et profond; placez-y de fortes batteries toujours dirigées en écharpe, et, si le terrain le permet, fortifiez ce poste d'une redoute que vous construirez derrière, et qui pourra le défendre, au cas que l'ennemi perce; c'est alors un ravelin qui défend le chemin couvert. Si vous avez un village devant votre front, et si votre position exige que vous l'occupiez de nécessité, faites-en retrancher le front à quelque distance des maisons; mais s'il n'y a pas une raison bien valable de l'occuper, contentez-vous d'y jeter des bataillons francs, pour vous assurer contre les surprises. L'ennemi sera obligé de les en chasser et de tirer, ce qui est un grand avantage pour vous, car toute infanterie qui a tiré ne vaut pas pour l'attaque celle qui est encore toute fraîche. Observez toujours les terrains qui vont en douce pente ou en glacis; ce sont les plus avantageux pour le feu de l'infanterie, et il faut qu'un général habile profite de tout. Observez toujours les règles de la fortification; que tous les chemins creux adjacents à votre poste soient découverts par votre feu.
Lorsque vous avez tout distribué et arrangé dans votre camp, faites-en le tour extérieurement, et proposez-vous de l'attaquer; alors vous découvrirez les endroits faibles, et vous changerez ce qui mérite correction, vous les munirez de défenses, et votre poste n'en deviendra que meilleur.
Dans tout ce qui est poste, la cavalerie doit être en troisième ligne, et, autant qu'il se peut, à l'abri du canon; cela ne vous empêche pas de vous en servir au besoin, en la faisant passer par les ouvertures d'infanterie vers l'endroit où vous la voulez faire agir. Voyez le plan no III.
<12>ARTICLE V. DES CAMPS EN EMBUSCADES.
Il y a une façon de se poster où vous tendez une vraie embuscade à votre ennemi. Je dois cependant ajouter que tous les terrains n'y sont pas propres. Il faut qu'il y ait des bois aux environs, et des terrains fourrés; cela se peut plus difficilement dans des terrains tout à fait ouverts. Les règles de ces sortes de camps consistent à placer les troupes selon tous les principes de la castramétrie, pour qu'elles soient aussi avantageusement postées pour se défendre qu'il est possible.
Vous devez réduire votre terrain à des points d'attaque le moins que vous pourrez, une ou deux fois tout au plus. Vous avez cependant vos troupes embusquées, et lorsque l'ennemi vient vous attaquer dans l'endroit que vous avez prévu, vous changez votre défensive en offensive, et vous l'attaquez à votre tour. Tout ce qui est inattendu produit un bon effet à la guerre, et cette surprise, si elle est bien exécutée, doit vous valoir une victoire complète. J'ajoute à ceci deux plans de même manœuvre, faits de façon différente, pour qu'on s'en fasse une idée nette; ensuite, comme le terrain varie à l'infini, c'est à chacun de voir comment et en quelle occasion il convient de s'en servir; mais l'idée est bonne, et mérite d'être retenue.
Mais, dans quelque espèce de terrain que l'on campe, il faut toujours observer comme une règle générale de se bien garder d'avoir proche de soi, à dos, des marais ou des rivières, parce que, si l'on est battu, la défaite en devient générale; les fuyards se pressent de passer le pont, ou ils se précipitent eux-mêmes dans la rivière, ou l'ennemi les fait tous prisonniers. Voyez les deux plans nos IV et V.
<13>ARTICLE VI. DES CAMPS DERRIÈRE DES RUISSEAUX OU RIVIÈRES.
Si l'on se poste derrière un ruisseau ou une rivière, il faut en avoir fait reconnaître tous les endroits guéables, pour s'y précautionner le plus.
Si c'est un ruisseau, il n'y a qu'à y faire une digue, et il formera une espèce d'inondation. Vous borderez cette rivière d'infanterie légère, distribuée par petites troupes. Votre corps, qui est en arrière à quelques centaines de pas, doit occuper un terrain dominant et plus haut que la rive opposée, par laquelle l'ennemi peut venir. Vos batteries défendront la rivière, et vous ferez avancer quelques bataillons sous cette protection, pour repousser l'ennemi qui veut passer. Vous aurez, de plus, de bonnes redoutes fermées et munies de canon, qui rendront vaines les tentatives de l'ennemi.
Ces sortes de positions sont rarement attaquées de front, et pour l'ordinaire l'ennemi tâche de passer ces ruisseaux ou rivières à votre droite ou bien à votre gauche; c'est donc de ces deux côtés où vous devez porter vos attentions, soit pour l'attaquer à son passage, soit pour avoir reconnu d'avance des camps que vous pouvez prendre sur vos flancs et sur celui de l'ennemi. Il faut donc sans cesse des patrouilles et des batteurs d'estrade en chemin, pour vous avertir de tout, et qu'un général soit toujours méfiant, et qu'il prévoie tout le mal qui peut lui arriver, pour le prévenir et n'être jamais surpris.
ARTICLE VII. DES CAMPS RÉDUITS EN UN OU DEUX POINTS D'ATTAQUE.
Quelquefois le terrain favorable fournit des camps à point d'attaque, comme si l'art les avait construits exprès; celui de <14>Schmottseiffen15-a est de cette espèce, où l'ennemi ne pouvait venir que par Döringsvorwerk.15-b Il y a des terrains qui s'y refusent totalement; il y en a d'autres qui se laissent plier à la forme qu'on veut leur donner. Pour vous en faciliter l'intelligence, consultez le plan no VI.
ARTICLE VIII. DES CAMPS OU LE POINT D'ATTAQUE EST ÉTROIT.
Les meilleurs camps sont ceux dont le point d'attaque est étroit. Supposez que vous ayez un marais devant vous, ou une vallée étroite qui n'a de terrain que pour contenir deux ou trois bataillons de front, que votre armée est placée sur une élévation en demi-cintre qui domine ce terrain. Vous comprenez que tout votre feu commande le corps avec lequel votre ennemi débouche sur vous, et cette supériorité de feu vous donnera certainement la victoire, parce que les assaillants doivent être ruinés et détruits avant de pouvoir vous aborder. Nous eûmes un camp pareil à Neustädtel en Silésie, vis-à-vis des Russes, en 1759.16-a Voyez le plan no VII.
ARTICLE IX. DES RETRANCHEMENTS.
Lorsque l'on construit des redoutes, il faut qu'elles soient fermées par derrière, parce qu'on ne les prend que par la gorge.
Vos retranchements doivent avoir des fossés larges et pro<15>fonds de dix pieds. On peut les entourer de chevaux de frise pilotés en terre, quand on ne peut pas se procurer des palissades. S'il y a du bois, les palissades sont préférables.
Les bons parapets ont seize pieds d'épaisseur; il faut qu'ils aient du talus, afin que le soldat, en tirant, couche simplement son fusil dessus, pour que le coup porte où l'on peut l'attaquer. On ajoute des fougasses aux retranchements, formées en T comme les mines, pour faire sauter le même point trois fois. Leur usage est admirable; rien ne fortifie si fort une position, et ne rebute davantage celui qui l'attaque. Voyez les plans VIII, IX et X.
Mais quand on se propose de telles choses, il faut y faire travailler avec diligence et y employer beaucoup de monde, pour être préparé à temps.
ARTICLE X. DES CAMPS QUI COUVRENT LES PAYS.
La guerre défensive demande souvent que l'on choisisse des postes qui couvrent beaucoup de pays. J'en dois du moins dire quelques mots. Ces sortes de terrains, c'est la nature toute seule qui les fait, l'art n'y peut rien; mais il faut, les connaître, et ne les point négliger quand on en a besoin.
J'en connais quelques-uns17-a que je puis indiquer : pour la Basse-Silésie celui de Landeshut, en occupant le Riegel, les Sieben Nothhelfer et les hauteurs de Reichenau, avec le poste que le général Seydlitz tenait, tel que nous l'occupâmes l'année 1759.17-b Ce camp couvre toute la Basse-Silésie. Le camp de Schmottseiffen couvre la Silésie du côté de Marklissa et de la Bohême, et, tant qu'on le tient, l'ennemi ne hasardera jamais avec toute son armée de passer le Bober. Le camp de Neustadt, en Haute-Silésie, est de la même espèce, car l'ennemi ne se hasardera jamais hors des montagnes, tant qu'on le tiendra et qu'il y aura <16>un corps à Oppersdorf.17-c Celui de Schlettau17-d et Meissen couvre toute la Saxe.
Les Autrichiens ont celui de Trautenau, celui de Königingrätz et celui d'Olmütz.
La Lusace ne fournit aucun terrain semblable, ni le duché de Magdebourg non plus; et dès que vous quittez les bords de l'Oder, vous ne trouvez aucun terrain d'où vous puissiez défendre la capitale.
Ces camps forts de la Silésie dont j'ai parlé ne sauraient être forcés; ils ont, de plus, l'avantage de faire craindre à l'ennemi, s'il les dépasse, qu'on lui coupera ses vivres.
ARTICLE XI. DES TERRAINS TROP ÉTENDUS.
Rien n'induit plus facilement en tentation que les postes trop étendus; ils sont, en vérité, de leur nature excellents, mais ils demandent, pour les remplir et les défendre, quatre-vingt mille hommes, et vous n'en avez que quarante mille. Il faut, dans de pareils cas, se souvenir sans cesse et se rappeler qu'un terrain n'est rien de lui-même, et que ce sont les hommes qui le défendent. Le parti le plus sage à prendre est, quand on le peut, de chercher à droite, à gauche, en arrière ou en avant, quelques positions plus convenables pour vos forces, et que vous puissiez soutenir; car plus vous vous étendez, et plus vous vous affaiblissez réellement, et un seul effort de l'ennemi le rend victorieux. Si cependant ce grand terrain permet qu'on le coupe pour en défendre une partie où vos troupes sont bien resserrées, à la bonne heure; mais alors il faut des retranchements, des redoutes, et il faut se résoudre à remuer la terre, et même à palissader les endroits qui en ont besoin.
Les meilleurs camps sont ceux qui exigent, pour les remplir, moins de troupes que vous en avez; alors vous avez deux lignes <17>avec de bonnes réserves, et vous pouvez vous défendre en désespérés.
De grands terrains peuvent cependant se défendre, principalement dans des montagnes; vous n'occupez que leur crête et quelques arêtes avec peu de bataillons, et vous vous étendez au loin, surtout si l'accès de ces montagnes est âpre. Le poste de Freyberg18-a peut se défendre de même; la Mulde le couvre, son bord est de rocher, et on ne peut la passer que sur trois ponts de pierre qui la traversent. Comme vous avez les hauteurs, il n'y a qu'à retrancher trois bataillons derrière chaque pont, et porter le fort de l'armée au deçà de Freyberg, vers le Brand, s'y retrancher, et appuyer la droite derrière la potence, vers Freybergsdorf, et vous soutiendrez votre communication jusqu'à Schlettau.
L'année 1-59,19-a j'ai défendu deux milles de terrain en Silésie avec trente mille hommes, de Köben jusqu'à Herrnstadt; mais j'avais devant moi le ruisseau de la Bartsch, qui coule entre des marais, et j'avais garni les passages et défendu par des brigades, retranchées et postées avec un si grand avantage, que cent mille hommes ne pouvaient les forcer. L'année 1758, les Autrichiens défendirent de même les bords de l'Elbe, depuis Königingrätz jusqu'à Arnau. Ces exemples peuvent instruire les officiers de la nécessité de bien juger de tout ce qu'on veut faire, et de penser avant que d'agir.
Il ne faut donc jamais prendre une position sans en avoir bien connu le local, ce qu'elle a d'avantageux et de défectueux; il faut d'ailleurs, dans chaque camp que l'on prend, faire la disposition de sa défense et la communiquer aux officiers qui doivent l'exécuter, car ils ne peuvent pas deviner ce que leur général pense; mais quand ils en sont instruits, on peut les punir sévèrement, s'ils ne l'exécutent pas à la lettre. Voyez les plans XI et XII.
<18>ARTICLE XII. COMMENT ON RAISONNE SA POSITION.
EXEMPLE.
Pour faciliter l'intelligence des principes dont je parle, je joins ici le plan des hauteurs de Borne, sur lesquelles je vais faire mon raisonnement, examiner ce que j'y trouve de défectueux, leurs ajutages, et la façon dont j'y dois placer les troupes. Cet échantillon peut servir pour faire d'autres raisonnements sur le même sujet. Voyez le plan XIII, et vous trouverez sur ce terrain-là tout ce qu'on en peut dire. Mais comme les terrains sont variés à l'infini, il m'est impossible de raisonner sur toutes les différentes combinaisons qu'ils présentent, et c'est à chacun à raisonner ensuite sur celui que l'occasion lui fournit. Voyez les plans nos XIII et XIV.
ARTICLE XIII. QUE CE N'EST PAS TOUT QUE DE BIEN SAVOIR LES RÈGLES D'UN CAMP.
Les principes que je viens de donner sont sans doute bons; ce sont les seuls auxquels il faut s'attacher. Mais on se tromperait beaucoup, si l'on se persuadait que cette théorie seule suffit pour être parfait dans cet art; on n'aperçoit les difficultés que lorsqu'on met ces principes en pratique.
La nature seule ne vous fournit presque jamais des terrains comme vous le désirez; pour vous donner des postes parfaits, il faut sans cesse que l'art y supplée, et qu'il corrige et tâche d'aider à ce qu'il y a de défectueux dans le terrain. On se sert, par exemple, d'un ruisseau pour former une inondation, on fait des redoutes et des retranchements aux endroits défectueux, des abatis, comme je l'ai dit, dans des forêts, et l'on joint l'art pour <19>perfectionner la nature. On se poste à un quart de mille en arrière ou en avant; on retire une aile, on avance l'autre, ou l'on fait sortir le centre; enfin on se retourne de cent façons, pour obtenir d'un terrain donné tous les avantages qu'il peut procurer. Mais il faut de l'activité pour tout voir, et du génie pour profiter de tout; cela demande nécessairement qu'un officier soit intelligent et laborieux.
On trouve souvent des monticules proche d'un camp; ils tentent de les occuper. Mais c'est alors qu'il faut bien raisonner pour se déterminer si on les occupera ou non, comme je l'ai fait voir dans l'article précédent, en donnant un échantillon de la manière dont il faut juger d'un terrain.
ARTICLE XIV. DE CE QU'IL FAUT OBSERVER DE PLUS, EN PRENANT UN CAMP, POUR LES CHEMINS ET LES POSTES DÉTACHÉS.
Toutes ces règles que je viens de donner ne suffisent pas encore; il faut surtout bien faire reconnaître les chemins qui viennent au camp, parce que c'est par ces endroits que l'ennemi doit s'avancer vers vous; c'est sur cette connaissance qu'on règle les gardes du camp et les patrouilles que l'on emploie pour battre l'estrade.
Dans des camps de plaine, il faut nécessairement avoir un corps de troupes légères qu'on pousse en avant, que l'on met derrière quelque défilé, pour observer l'ennemi. Il est aussi de la prudence d'avoir des détachements moins nombreux sur ses flancs, pour ne point être surpris. Une armée doit être comme une araignée, qui tend ses filets de tous côtés, et qui, par leur ébranlement, est incessamment avertie de ce qui se passe.
Mais, je le répète encore, ces connaissances théoriques ne servent de rien, si l'on n'y ajoute pas une certaine pratique. Il faut s'exercer à choisir des terrains, à faire des dispositions, il faut réfléchir sur cette matière, et alors la théorie, réduite en <20>pratique, rend habile et facilite toutes ces sortes d'opérations, et vous apprend à juger, par l'inspection, du nombre de troupes qui peuvent tenir dans la place où vous voulez camper. Plan no XV.
ARTICLE XV. COMMENT ON APPUIE LES ATTAQUES ET L'ARMÉE.
Il faut tâcher, autant qu'il se peut, d'appuyer l'aile avec laquelle on attaque à un bois, à un marais, ou même à un simple fossé; quand c'est dans une plaine et rase campagne, cela devient quelquefois impossible. Si l'on trouve un bois sur sa droite, avec laquelle on se propose d'attaquer, et que ce bois aille à la gauche de l'ennemi, il faut préalablement envoyer un corps d'infanterie et le faire escorter dans la plaine par de la cavalerie, pour occuper ce bois et couvrir le flanc de l'armée qu'on veut y appuyer; il faut même ensuite que cette infanterie que vous avez dans ce bois protége votre attaque lorsqu'elle avance à l'ennemi, ou vous risquez, par votre faute, que votre attaque sera prise en flanc en pleine marche, et sera honteusement chassée. Si l'ennemi a sur ses ailes un long village, comme il y en a tant en Silésie, il faut avant tout le nettoyer et l'occuper, pour pouvoir ensuite avancer vers l'ennemi. Je joins ici un plan d'un bois, qui est suffisant pour l'intelligence de cette importante précaution.
Si l'ennemi est sur une hauteur, le terrain est souvent tel, qu'une attaque ne saurait trouver d'appui en avançant, et c'est alors que l'on emploie la méthode que j'indique dans l'attaque des hauteurs, de la soutenir par le plus de batteries que l'on peut et par l'armée qui lui sert de base. Mais dès qu'on est maître de la hauteur, alors cette position même devient votre appui; du moins vous avez une aile appuyée, et l'armée qui vous suit peut facilement soutenir l'autre par son canon. Voyez les plans nos XVI et XVII.
<21>ARTICLE XVI. DES DIFFÉRENTES ATTAQUES.
Nous devons puiser nos dispositions pour les batailles dans les règles d'assiéger les places. Comme de nos jours on ne brusque plus l'attaque des chemins couverts minés, parce qu'ils sont et trop hasardeux, et trop meurtriers, de même il faut renoncer aux engagements généraux, parce qu'on perdrait trop de monde par le feu de mitraille, que l'on serait perdu sans ressource, si l'on était battu. Puisqu'on peut avec un moindre hasard parvenir à la même chose, il faut le moins risquer qu'on le peut, et ne laisser à la fortune que ce que l'habileté ne peut lui dérober.
Les ingénieurs vous recommandent de bien embrasser les ouvrages qu'on attaque, afin d'avoir la supériorité du feu sur celui de la ville, d'établir vos ricochets de façon qu'ils enfilent les lignes de prolongation, de faire que votre première parallèle déborde de beaucoup les autres pour leur servir de base et d'appui, et de sortir de votre troisième parallèle par des boyaux, pour vous loger sur le chemin couvert. Vos deux lignes sont donc vos parallèles; du côté où vous voulez attaquer, vous établirez des batteries pour soutenir les troupes qui doivent attaquer, et qui sont comparables à ces boyaux de sape que l'on pousse sur les saillants des glacis.
Dans le plan XVIII, je suppose une attaque dans la plaine. et nous verrez comme, selon mon système, ces attaques doivent se faire. J'ai mis la droite en mouvement, en refusant la gauche; vous pouvez faire également ce mouvement par la gauche vice versâ. La cavalerie de l'aile que j'avance doit attaquer, si d'ailleurs les dispositions de l'ennemi le permettent; faute de cela, elle peut attendre que son moment arrive.
Tous les plans qui suivent sont calculés de soixante bataillons et de cent escadrons, sans y comprendre les bataillons francs. Voyez le plan no XVIII.
<22>ARTICLE XVII. AUTRE ATTAQUE DE PLAINE.
Il arrive qu'avec une armée inférieure on se trouve dans un pays de plaine, comme entre Berlin et Francfort, entre Magdebourg et Halberstadt, près de Leipzig, entre Ratibor et Troppau, etc. Comment appuyer ses ailes? Comment prendre une position lorsqu'il n'y en a point? J'y ai pensé souvent, parce qu'il se trouve des cas où, sans vouloir préjudicier au bien de la cause, il faut se soutenir dans de semblables terrains. Voici donc la seule idée qui m'est venue et qui peut s'exécuter.
Je choisis, pour me camper, un terrain un peu bas où je suis à couvert vis-à-vis de l'ennemi; je fais élever sur la hauteur, devant mon front, des redoutes, pour que l'ennemi prenne ce terrain pour celui que je veux défendre; et il faut qu'il y ait quelque village, qu'il faut fortifier. S'il se trouve du bois à une de vos ailes, c'est un avantage, parce que tout le projet roule à cacher à l'ennemi le mouvement qu'on veut faire. Dans cette position, les généraux qui viendront me reconnaître feront leur disposition sur mon village fortifié et mon front garni de redoutes. Voyez le plan de mon camp, XIX. Le plan XX est l'attaque de ma cavalerie et la marche de mon armée pour se porter sur le flanc de l'ennemi; et XXI est le plan de l'attaque de mon infanterie, après que la cavalerie ennemie est battue. Votre cavalerie ne doit se mettre en mouvement que lorsque l'ennemi veut se former, pour qu'il ne puisse pas changer sa disposition.
Vous devez garnir les ouvrages du village de canon et la redoute la plus proche de votre droite. Si l'ennemi veut changer son front, il aura nécessairement le feu de votre village en flanc, et s'il veut attaquer le village, toute votre armée l'attaque en flanc. Tout dépend donc du choc de la cavalerie; si celui-là réussit bien, l'armée ennemie est totalement battue, et voilà comme, avec des troupes faibles, on peut néanmoins se procurer la victoire. Voyez les plans nos XIX, XX et XXI.
<23>ARTICLE XVIII. ATTAQUE DE VILLAGE.
Je ne quitte point des yeux les principes et les méthodes des siéges. Pour attaquer donc un village devant l'armée ennemie, mes deux lignes d'infanterie seront la base de mes attaques. J'établis mes batteries, et je forme trois ou quatre colonnes, selon le besoin, pour se porter sur ce village, mais distantes les unes des autres, pour donner du jeu aux batteries, et pour qu'elles ne se brouillent pas les unes les autres, parce qu'elles cheminent à un centre commun. Ces colonnes ont chacune trois lignes distantes de cent cinquante pas, et le corps d'armée, qui se trouve derrière, doit rester à neuf cents pas du village, immobile, et n'avancer que lorsque le village est pris; la cavalerie est plus en arrière, et toujours, autant qu'il se peut, à l'abri du canon. Jetez un coup d'œil sur le plan no XXII.
ARTICLE XIX. DES ATTAQUES DES HAUTEURS.
Les attaques des hauteurs sont tout ce qu'il y a de plus difficile à la guerre, parce qu'un ennemi habile occupe son terrain de façon à ne pouvoir être tourné d'aucune manière, et qu'il vous oblige à des points d'attaque hérissés de difficultés presque insurmontables. Mais s'il y a une force majeure qui oblige à hasarder une telle entreprise, que faut-il faire? 1o Bien reconnaître la disposition de l'ennemi; 2o si cela se peut, l'attaquer à dos, tandis que de front on lui présente l'armée; si cela ne se peut, attaquez, 3o, le lieu le plus élevé de son camp; 4o placez vos batteries sur toutes les hauteurs qui peuvent produire un feu croisé, et formez vos attaques selon le plan XXIII. Observez surtout de tenir votre armée hors du feu de mitraille, et attaquez votre hauteur vigoureusement. Si votre armée est forte, faites une fausse <24>attaque d'un autre côté, pour distraire l'ennemi et diviser son attention.
Ce n'est pas sans raison que j'insiste pour qu'on attaque par préférence la plus grande hauteur du poste. Voici pourquoi. Si vous l'emportez, et que vous vous y établissiez, tout est dit, votre feu supérieur doit déblayer sans peine et nettoyer le reste du poste; mais si, au lieu de cela, vous attaquez une butte moins considérable et que vous l'emportiez, vous n'auriez rien gagné, et les obstacles croîtraient alors à proportion que vos troupes fatiguées en seraient rebutées.
Que le lecteur se souvienne que tous mes plans sont forgés, et qu'il est impossible de dessiner tous les terrains où l'on pourrait se battre. Un homme intelligent appliquera lui-même mes règles, selon les conjonctures des postes différents qu'il lui faudra attaquer. Je prie qu'on se souvienne que, dans toute attaque de poste, il faut avoir soin de ne point exposer inutilement la cavalerie.
Le plan XXIV donne une idée dune attaque à dos, et d'un terrain qui peut favoriser une telle disposition. Voyez les plans nos XXIII et XXIV.
ARTICLE XX. DES DISPOSITIONS OU TOUTE L'ARMÉE N'ATTAQUE QU'UN POINT.
Souvent une position n'est abordable que d'un côté; elle ne fournit alors qu'un seul point d'attaque, toute l'armée s'y porte, et ne fait que nourrir et rafraîchir les troupes qu'on mène à la charge. Cependant, si les difficultés sont trop grandes, on peut faire cesser les attaques et replier ses corps sur l'armée. Voyez le plan XXV. Tout le mouvement des lignes n'est qu'un à droite pour soutenir les assaillants.
<25>ARTICLE XXI. DES ATTAQUES DE RETRANCHEMENTS.
Ces attaques se doivent régler sur les mêmes principes que les précédentes; j'entends qu'il faut établir de bonnes batteries qui tirent en écharpe, faire bien tirer le canon avant d'attaquer, et distribuer les corps qui doivent assaillir à peu près de même qu'aux attaques des postes, tenir l'armée à une distance de ces retranchements, pour qu'elle n'essuie pas le feu de mitraille, et avoir des soldats commandés, avec des fascines, pour combler le fossé. Dès que vous en serez maître, il faut s'établir dessus et ne point pousser en avant avec l'infanterie, mais faire faire par vos travailleurs des ouvertures, pour que la cavalerie y puisse entrer et achever la victoire; car, si vous poursuiviez chaudement, il peut vous arriver que votre infanterie, en confusion pour avoir franchi ces retranchements, soit défaite ou repoussée tout à fait par la cavalerie de l'ennemi, qui l'attend en bon ordre.
ARTICLE XXII. DE L'AVANTAGE DE MA MÉTHODE D'ATTAQUER SUR LES AUTRES.
Vous aurez sans doute remarqué que le principe constant que je suis dans toutes mes attaques est de refuser une aile ou de n'engager qu'un détachement de l'armée avec l'ennemi; mon armée sert de base à ce qui attaque, et ne doit s'engager que successivement, selon le succès et les apparences que j'ai de réussir dans mon entreprise. Cette disposition me donne l'avantage de ne risquer qu'autant que je le trouve à propos, et que, si je remarque quelque empêchement physique ou moral à mon entreprise, je suis maître de l'abandonner, en repliant les colonnes de mon attaque sur mes lignes, et en retirant mon armée, la mettant toujours sous la protection de mon canon, jusque hors de la <26>portée du feu de mon ennemi. L'aile qui a été le plus près de l'ennemi se replie ensuite derrière celle que j'ai refusée; ainsi celte aile refusée devient ma ressource, et me couvre lorsque je suis battu. Si donc je bats l'ennemi, ma victoire en devient plus brillante, et si je suis battu, ma perte en est bien moins considérable. Examinez le plan, il vous en donnera l'intelligence. Voyez le plan XXVI.
ARTICLE XXIII. DE LA MEILLEURE MÉTHODE DE DÉFENDRE A L'ENNEMI LE PASSAGE D'UNE RIVIÈRE.
Autant de fois qu'on se mettra derrière une rivière pour la défendre, on en sera la dupe, parce que l'ennemi, à force de finasser, trouve tôt ou tard un moment convenable pour vous dérober son passage. Vous dépendez alors souvent de l'activité ou de l'intelligence d'un officier qui fait la patrouille. Si vous séparez vos troupes pour en garnir les endroits les plus dangereux du fleuve, vous risquez d'être battu en détail. Si vous êtes ensemble, le moins qu'il puisse vous arriver est de vous retirer avec confusion pour vous choisir un autre poste, et vous avez perdu dans l'un et l'autre cas la gageure, car vous n'avez pas pu empêcher l'ennemi d'exécuter ce qu'il s'était proposé.
Je rejette donc cette ancienne méthode d'empêcher le passage d'une rivière, que l'expérience condamne, et j'en propose une plus simple et plus sûre; quand elle est exécutée par un habile général, elle évite l'inconvénient d'être surpris par l'ennemi, d'être averti trop tard, et surtout celui de partager son attention, qui, selon moi, est le plus grand de tous. Un plan simple, que vous avez dans la tête, doit renverser tous les projets de l'ennemi.
Voici donc ce que je propose : c'est que la seule façon de défendre une rivière est de l'avoir derrière soi. Il faut avoir une bonne communication établie de l'autre côté; il faut pour le moins avoir deux ponts dont les têtes sont retranchées, et se poster en delà, un demi-mille, dans un camp qu'il faut bien faire <27>accommoder, pour que l'ennemi soit certainement battu, s'il vient vous y attaquer. Je suppose même votre armée plus faible d'un tiers que la sienne.
Je dis donc que, par un tel camp, vous empêchez l'ennemi de passer la rivière, parce que, s'il marche à droite ou bien à gauche pour la passer, il est obligé de vous abandonner ses vivres et ses magasins qu'il a derrière lui, ce que certainement il ne fera pas. Que lui reste-t-il donc à faire? Il tâchera sans doute à faire passer la rivière à quelque détachement; mais ce détachement est obligé de décrire un demi-cercle pour passer, et vous, vous enverrez un détachement en ligne directe par votre pont, qui, se portant du côté où l'ennemi veut passer, pourra très-bien le battre en détail. Si cependant toute l'armée ennemie voulait passer à votre droite ou à votre gauche, par un mouvement simple, vous n'avez qu'à vous portera leur dos, et profiter de l'affreuse confusion où votre approche les mettra. Ce projet est simple, il vous délivre d'inquiétude, et concentre toutes vos idées sur le même point. Le plan ci-joint, no XXVII, jettera plus de lumière sur ce sujet que tout ce que je pourrais encore y ajouter.
ARTICLE XXIV. DES PASSAGES DE RIVIÈRES.
Je ne toucherai que les points principaux de cet article. Si vous voulez passer une rivière, occupez des hauteurs qui commandent l'autre bord, établissez des batteries à cinq ou six cents pas à droite et à gauche de l'endroit où vous voulez construire votre pont. L'avant-garde, qui doit couvrir le pont, doit avoir des chevaux de frise avec elle, derrière lesquels elle se poste, parce qu'elle n'a pas le temps de faire un bon retranchement; que les troupes qui passent appuient toujours leurs deux ailes à la rivière, jusqu'à ce que toute l'armée aura passé. On observe les mêmes règles lorsqu'on veut repasser une rivière. Au côté que vous voulez abandonner, vous faites un grand retranchement, et dans celui-là, vous faites des têtes de pont pour vous couvrir; <28>vous choisissez des hauteurs du côté où vous voulez passer, où vous établissez des batteries pour protéger votre passage; sous cette protection, vous abandonnez votre premier retranchement, vous vous retirez dans les têtes de pont, où vous avez pratiqué des fougasses pour les faire sauter, au cas que l'ennemi veuille inquiéter votre retraite. Le plan XXVIII contient la disposition du passage, et le plan XXIX, celui de la retraite.
ARTICLE XXV. DE LA TACTIQUE DES MARCHES ET DE LEURS DISPOSITIONS.
Il faut distinguer les marches qu'on fait à quelque distance de l'ennemi de celles que l'on fait proche de son armée. Les règles générales consistent à marcher sur le plus de colonnes que l'on peut; mais ce qui en doit déterminer le nombre, ce sont les chemins qui aboutissent au camp que vous voulez prendre, car il ne vous sert de rien de vous mettre en marche avec dix colonnes, si vous êtes obligé de les réduire à quatre pour rentrer dans votre camp; alors le moyen le plus simple et le meilleur est de régler d'abord sa marche sur quatre colonnes.
Dans les pays de plaine, la cavalerie doit composer la partie la plus nombreuse de votre avant-garde; dans les bois, vingt hussards, beaucoup d'infanterie légère, et de l'infanterie pesante pour la soutenir, suffisent; il en est de même dans les hautes montagnes. Si vous marchez par des plaines, il faut que vous ayez de la cavalerie des deux côtés de vos colonnes d'infanterie, pour fouiller le terrain, et pour que rien ne puisse fondre à l'improviste sur votre infanterie; si vous marchez par des terrains fourrés, vous couvrirez vos flancs d'infanterie détachée, et vous éviterez autant que vous le pourrez les villages, principalement pour la cavalerie, parce qu'elle n'y saurait agir. Quand l'armée est forte, on emploie le corps de réserve pour couvrir les flancs exposés du côté de l'ennemi.
<29>Si votre armée marche près de celle de l'ennemi, supposez toujours qu'il va vous attaquer en marche, pour vous préparer à tout événement; prenez la précaution d'occuper par votre avant-garde et réserve les hauteurs, les collines et les bois derrière lesquels vous faites marcher vos troupes, afin d'être en tout cas le maître du terrain le plus avantageux, où, si l'ennemi tentait de vous attaquer, vous pourriez incessamment former votre armée, et vous opposer avec avantage et fièrement à ses entreprises. Si vous avez de grandes forêts à traverser, il faut y faire passer la cavalerie sous la protection de l'infanterie. Cela se fait ainsi : on place l'infanterie et des troupes légères dans un bois, pour couvrir le chemin du côté de l'ennemi, et l'on fait passer ce chemin aux escadrons entremêlés de bataillons d'infanterie, de sorte qu'elle traverse le bois en sûreté sous cette protection. Il faut donc toujours étudier d'avance le terrain que l'on veut passer, faire ses dispositions sur le papier, et avoir l'œil qu'elles soient bien exécutées. Voyez le plan no XXX.
ARTICLE XXVI. DES DIFFÉRENTES AVANT-GARDES.
Dans tous les cas, il convient aux avant-gardes de marcher avec la plus grande précaution; les hussards doivent éclairer leur marche, et pousser à cet effet leurs premiers flanqueurs à un demi-mille en avant de leurs corps; il faut qu'ils fouillent tous bois, villages, fonds, passages, monticules, pour découvrir les piéges et les embuscades qui peuvent être tendus en chemin, pour découvrir l'ennemi, ses forces, sa position et ses mouvements, afin que le général, averti d'avance de ce qui se passe, puisse prendre ses précautions et changer de disposition selon l'occurrence. Quiconque néglige ces précautions peut donner en étourdi dans quelque embuscade, ou se trouver à l'improviste si proche d'un corps supérieur, qu'il en est écrasé avant de pouvoir se retirer.
Si l'armée ne marche que d'un campement à un autre, il faut <30>que la cavalerie déblaye d'ennemis le camp qu'on veut prendre, et qu'elle couvre les fourriers qui doivent le marquer; et l'infanterie peut être postée derrière des haies, des ruisseaux, dans des villages, dans des bois, etc. Mais si vous êtes proche de l'ennemi, il faut que l'infanterie demeure assemblée, et si c'est sur des montagnes, cette infanterie doit en occuper les crêtes et les sommets dominants.
Si une avant-garde est envoyée pour se saisir d'un poste important, elle doit s'y poster au plus vite, s'y fortifier à la hâte, autant que le temps le permet, avec des chevaux de frise ou de la terre remuée, et bien placer ses batteries. Si une avant-garde marche à un ennemi auquel on veut livrer bataille, elle ne doit devancer son armée que d'un petit quart de mille, chasser tout ce qu'elle trouve devant elle de cavalerie et de troupes légères, mais se bien garder d'engager l'affaire avant que son armée l'ait jointe. Voyez les plans nos XXXI et XXXII.
ARTICLE XXVII. COMMENT IL FAUT SE RETIRER D'UN CAMP LORSQU'IL EST PROCHE DE L'ENNEMI.
Nous avons souvent campé dans une grande proximité de l'ennemi, et nous avons été obligés d'abandonner notre poste pour courir d'un autre côté, selon que le plus pressant besoin le demandait. Je crois donc qu'il n'est pas hors de propos de prescrire les règles principales dont il ne faut point s'écarter dans de pareilles circonstances.
Êtes-vous campé dans les montagnes, et vos postes avancés se trouvent-ils sous les yeux de l'ennemi, il faut dès lors prendre les plus grandes précautions pour cacher votre dessein et même, s'il se peut, à votre armée, pour qu'un misérable déserteur ne vous trahisse pas. Si vous pouvez dérober vos mouvements, je veux dire, si l'ennemi ne peut observer le charriage qui se fait dans votre camp, faites partir à midi votre bagage sous des prétextes plausibles, comme si les chariots devaient aller chercher du four<31>rage, ou comme si, par une suite d'une bonne police de camp, on ne voulait garder avec soi que le moins de bagage possible. Si l'ennemi peut voir ce qui se passe dans votre camp, faites partir, la nuit qui précède votre décampement, tous ces chariots pour vous en débarrasser, et, le soir qui précède la nuit que vous voulez marcher, faites sur la brune partir tout votre gros canon, car, si vous le prenez avec vous, il peut s'en renverser dans les chemins creux, ce qui arrêterait vos colonnes, au lieu que, lui faisant prendre les devants, quand même il y aurait quelque canon renversé ou brisé, on a le temps de le tirer des ornières et de déblayer le chemin pour l'armée. Comme il s'agit d'accélérer votre marche, pour que l'ennemi ne profite pas du terrain avantageux que vous lui abandonnez pour vous attaquer, il faut descendre des hauteurs par autant de colonnes que vous trouvez de chemins, quitte à vous mettre ensuite dans la plaine, dans l'ordre de marche que vous vous êtes proposé de suivre. Toutes les gardes de camp de fa cavalerie doivent rester à leur poste jusqu'à ce que votre armée soit toute descendue dans la plaine; vous devez même commander des hussards pour entretenir les feux des gardes d'infanterie et crier le qui-vive, comme si les gardes y étaient encore; après quoi, à un signal dont on convient, les gardes de cavalerie se replient subitement au galop et suivent l'armée; l'ennemi, qui ne s'aperçoit qu'alors de votre mouvement, n'est pas en état dès lors de vous porter le moindre préjudice, et vous vous tirez habilement d'affaire.
Dans des terrains de plaine, il est bien rare que les armées campent aussi proche les unes des autres; cependant, si cela arrive, il faut prendre les mêmes précautions de se débarrasser du bagage. S'il y a un défilé derrière vous, il faut y envoyer un corps d'avance pour l'occuper; mais je voudrais que dans la plaine on conduisît son canon avec l'armée, que l'on marche de nuit ou non, parce que vous avez tout prévu, tout réglé d'avance, et l'ennemi est bien embarrassé comment vous attaquer, ne sachant pas votre disposition. Si vous voulez éviter toute affaire d'arrière-garde, déblayez vite votre camp, marchez par tant de colonnes que vous pouvez, sauf à vous mettre sur moins de colonnes, si les chemins ne permettent pas que vous en ayez beau<32>coup. Il faut observer de même ce que j'ai dit dans ce qui regarde les retraites des montagnes : c'est de laisser des hussards dans le camp pour crier le qui-vive et entretenir les feux, et qui se replient promptement et rejoignent l'armée, sans que l'ennemi puisse les entamer. Si le roi Guillaume avait quitté de nuit son camp de Seneffe, son arrière-garde n'aurait pas été battue par le prince de Condé.
Une grande précaution à prendre est de faire bien reconnaître les chemins d'avance et même par les généraux qui doivent mener les colonnes, si cela se peut, pour prévenir, autant qu'il est possible, une espèce de confusion, compagne de la plupart des marches nocturnes.
ARTICLE XXVIII. DES DIFFÉRENTES ARRIÈRE-GARDES.
Il y a différentes sortes d'arrière-gardes : 1o pour couvrir la queue d'une armée d'un camp à un autre; 2o d'arrière-gardes qui couvrent le bagage; 3o d'arrière-gardes qui couvrent des armées battues, pour faciliter leur retraite.
2o Les premières sont attaquées quand l'ennemi a intention d'appesantir votre marche, et qu'il veut se procurer l'avantage de gagner un poste avant vous. Ces affaires souvent sont assez vives, et ressemblent à de petites batailles. Il faut éviter les engagements autant qu'on le peut, car il n'y a rien à gagner, et toujours à perdre, pour se retirer avec sûreté; poster des troupes sur le chemin que l'on suit, pour pouvoir, sous leur protection, replier celles qui sont pressées par l'ennemi; on poste ces troupes sur des hauteurs, on leur fait garnir des villages, on en borde des bois, on les met derrière des défilés, et, à la faveur de leur protection, celles qui sont les dernières se peuvent replier sur ces postes; vos batteries arrêtent l'ennemi, et vous donnent le moyen de poursuivre votre marche, quoique lentement. Si l'arrière-garde est trop pressée, elle en avertit l'armée, qui s'arrête pour lui porter du secours. J'ai quelquefois tendu des embuscades à <33>l'ennemi qui me poursuivait avec ardeur, et je m'en suis bien trouvé. J'ai embusqué quelques bataillons avec de la cavalerie derrière des bois; les hussards ennemis ont été bien battus, et depuis ils sont devenus si circonspects, qu'ils craignaient d'approcher de chaque bouquet de bois. C'était l'année 1758,37-a lorsque nous quittâmes Königingrätz pour marcher vers Wisoka.
2o Les arrière-gardes qui couvrent le bagage sont les plus difficiles de toutes, parce que les troupes ont une grande file de chariots à défendre. Si vous distribuez vos bataillons en troupe le long de celle file, vous êtes faible partout; si vous les gardez ensemble, vous ne couvrez rien. Que faut-il donc faire? Si l'on peut couvrir la marche des convois à un quart de mille du côté de l'ennemi, en ne laissant que de petites troupes pour l'avant-garde et l'arrière-garde et pour contenir les goujats, alors l'ennemi y pensera plus d'une fois, et s'il fait mine de vous attaquer, faites aussitôt parquer vos chariots. Si vous avez un terrain coupé à parcourir, éclairez bien vos marches par vos patrouilles, et occupez tous les défilés, après quoi vos chariots pourront les traverser en sûreté, et faites parquer les premiers jusqu'à ce que les derniers aient passé.
3o Si vous faites l'arrière-garde après une bataille perdue, il faut choisir les troupes les plus fraîches de cette armée, et les poster derrière le plus prochain défilé, hauteurs, bois, village, digue, pont, quoi que ce soit, et y faire de bonnes batteries, protéger l'infanterie en déroute, le plus qu'il se peut, par de la cavalerie, et recueillir et rassembler ces troupes débandées derrière ce corps qui les doit protéger. C'est là qu'il faut faire bonne contenance, et que les bonnes dispositions de l'officier qui commande l'arrière-garde peuvent sauver une bonne partie de vos débris, et par conséquent diminuer votre perte. Voyez les plans nos XXXIII et XXXIV.
<34>ARTICLE XXIX. DES ARRIÈRE-GARDES QU'ON ATTAQUE.
Règles générales. Observez bien le terrain; l'ennemi marche, et par conséquent en change. Choisissez donc, du chemin qu'il l'ait, l'endroit qui vous est le plus avantageux; c'est quand l'ennemi se trouve dans un fond, dans des chemins étroits, dans des espèces de gorges, ou quand il passe des défilés. Vous devez l'entourer le plus que vous pouvez, embrasser son corps de tous les côtés, ne négliger aucun terrain où vous pouvez placer des batteries, le harceler continuellement avec votre cavalerie, pour ralentir sa marche et donner à votre infanterie le temps d'approcher. Alors, quand il se trouve dans un terrain à son désavantage, il faut l'attaquer avec vivacité, se mettre dans son avantage pour le terrain, et lui tomber avec impétuosité sur le corps partout où l'on peut. Voyez le plan ci-joint, no XXXV.
Si l'on attaque des convois, le moyen le plus sûr d'en profiter, c'est de laisser engager la tête du convoi dans un défilé, d'attaquer la tête pour y causer de la confusion, et tomber avec force sur la queue. Il y aura sûrement beaucoup de chariots perdus; quand c'est de fourrage, on se contente de dételer les chevaux et de renverser les chariots; c'est autant de perdu pour l'ennemi, et les chevaux, on les emmène sûrement, au lieu que les chariots ne pourraient pas se conduire si vite.
Si vous attaquez l'arrière-garde d'une armée battue, réglez-vous sur le terrain; si elle est bien postée, il faut la respecter; si elle est en marche, entourez-la de tous les côtés, et tombez dessus avec impétuosité et violence. Si celte arrière-garde est battue, vous ferez autant de prisonniers de cette armée battue que vous vous donnez la peine d'en vouloir recueillir.
<35>ARTICLE XXX. DES FOURRAGES VERTS ET DES FOURRAGES SECS.
On ne peut pas, quand on s'éloigne tant soit peu de ses frontières, avoir à la suite de l'armée des fourrages emmagasinés; pour nourrir sa cavalerie, on fourrage le pays ennemi dans lequel on se trouve. Le fourrage vert se prend dans les plaines; le sec, après les récoltes, se tire des villages. Comme l'ennemi s'oppose souvent à ces sortes d'entreprises, et qu'il s'y donne quelquefois des combats assez vifs, il est bon de prescrire aux généraux les règles essentielles dont ils ne doivent jamais s'écarter lorsqu'ils sont chargés de pareils commandements.
L'année 44 et 45, souvent nous avons eu des escortes de dix mille hommes pour couvrir les fourrageurs. On va au fourrage, quand le terrain le permet et que l'escorte est forte, sur deux colonnes; une avant-garde de cavalerie et d'infanterie précède la marche, ensuite vient un corps de cavalerie et d'infanterie, ensuite les fourrageurs, qui doivent tous être armés, ensuite les chevaux d'artillerie, des vivres et de l'infanterie, ensuite l'arrière-garde de l'escorte, composée de cavalerie et d'infanterie. Sur les deux flancs de la marche, on distribue le long de la colonne des pelotons de cavalerie pour couvrir les flancs et faire les petites patrouilles de côté. Arrivé sur le terrain que l'on veut fourrager, on fait sa disposition selon qu'il peut être le mieux défendu; on ménage les moissons le plus que l'on peut, pour qu'elles ne soient pas ruinées inutilement; on prend un seul chemin, pour ne point gâter les semailles; on l'ait une chaîne légère de cavalerie à la circonférence, soutenue par trois ou quatre grosses réserves, et le général s'en conserve encore la plus nombreuse, pour avoir de quoi accourir à l'endroit où l'ennemi voudrait faire son principal effort. On poste l'infanterie derrière des haies, des ruisseaux, autour des bois et des villages, et l'on se réserve une troupe d'infanterie pour une ressource contre tous les événements. Alors on distribue les champs aux différents corps qui doivent moissonner, et on lâche les fourrageurs. Quand tout est fait et chargé, <36>les fourrageurs, avec une légère escorte, partent les premiers; on rassemble l'infanterie, ensuite la cavalerie, et tout ce corps joint fait l'arrière-garde des fourrageurs. Voyez le plan no XXXVI.
Les fourrages secs sont plus faciles à faire. La marche doit se faire dans le même ordre; ensuite on place des corps de cavalerie aux environs du village qu'on veut fourrager, ensuite l'infanterie dans les haies du village; alors vous partagez les granges aux différents corps, et chacun fait ses trousses. Si un seul village ne suffit pas, vous devez, après avoir vidé le premier, faire la même manœuvre au village le plus voisin; mais n'en fourragez jamais deux en même temps, parce que vous vous affaiblissez en partageant les troupes, au lieu que vous êtes toujours en force en prenant les uns après les autres. Il en est de même, pour le retour, de ce que j'ai dit des fourrages verts. Voyez le plan no XXXVII.
ARTICLE XXXI. DES CAMPS DE RÉSERVE QULN GÉNÉRAL DOIT AVOIR FAIT RECONNAITRE D'AVANCE.
Des qu'on campe pioche de l'ennemi, ou que l'on est près de son poste, un général prudent aura pris la précaution d'avoir fait reconnaître, dans le voisinage, des positions pour avoir des camps en réserve, au cas que malheur lui arrive. S'il est battu, il sait d'abord où se retirer, et c'est un principe sûr que moins votre retraite est longue, plus vous y gagnez, en rassemblant plus vite les troupes débandées, et ne perdant pas autant de prisonniers que l'ennemi en ferait sûrement, si votre retraite était longue, outre que cela vous procurera la facilité de sauver un nombre de vos blessés. La bonne contenance que vous témoignez par une si courte retraite en impose au victorieux; il voit que vous n'êtes pas découragé, ni sans ressource, et ce parti, le plus honorable et le plus glorieux, est aussi le plus sûr. parce qu'un ennemi, tout victorieux qu'il est, n'aime pas à s'exposer si promptement après une bataille gagnée. J'ai souvent eu des <37>avantages sur mes ennemis, et j'ai toujours trouvé beaucoup de difficultés alors de ramener les troupes au feu; elles en sont dégoûtées et rebutées, et il faut au moins un intervalle de quelques jours pour les exposer à un nouveau péril, et ce temps vous suffit pour vous bien fortifier dans le poste que vous avez pris.
ARTICLE XXXII. QUAND IL FAUT POURSUIVRE L'ENNEMI, ET QUAND ON LUI FAIT UN PONT D'OR.
Si vous vous battez dans un pays de plaine, poursuivez l'ennemi avec toute l'ardeur possible, ne vous reposez point que votre cavalerie n'ait entièrement dispersé la sienne, harcelez-le toujours, ne lui donnez point de relâche, et au bout de quelques jours vous aurez détruit la plus grande partie de son infanterie, à laquelle se joindra la perte de tout son bagage. Si le théâtre de la guerre s'est établi dans un pays de montagnes, où votre cavalerie devient presque inutile, et si vous avez mis l'ennemi en fuite, vous ne pourrez pas le poursuivre bien loin, car il court en désordre et vite, et vous devez le suivre en ordre et par conséquent lentement, ce qui lui donne le temps d'occuper quelque défilé pour couvrir sa retraite. S'il se jette dans des gorges de montagnes, gardez-vous bien de le suivre à la piste, car il ne faut jamais enfourner les défilés sans être maître des hauteurs aux deux côtés, ou l'on risque d'être entièrement défait dans quelque vallon dont l'ennemi aura su s'emparer des cimes.
ARTICLE XXXIII. DU VÉRITABLE EMPLOI DES CUIRASSIERS ET DRAGONS.
J'ai eu quelquefois occasion de remarquer avec peine et déplaisir que nos généraux d'infanterie s'embarrassent si peu du <38>service de la cavalerie, que, lorsqu'ils en ont sous leurs ordres, ils exigent quelquefois d'eux des choses impraticables, et souvent ne les emploient pas à ce qui est de leur compétence. Ceci m'oblige à leur donner une idée nette de la cavalerie, pour qu'ils en connaissent les principes et le génie de cette troupe, et pour qu'ils sachent bien comment il faut la faire agir.
Les pays de plaine sont proprement faits pour la cavalerie; tous ses mouvements doivent être rapides, son exécution prompte, et ses chocs décidés en un clin d'œil. La cavalerie doit donc composer la principale masse des avant et arrière-gardes; dans des terrains unis, elle doit l'aire la chaîne des grand'gardes du camp, qui doit être couverte par une chaîne de hussards; on tâche de cacher la grand'garde dans des fonds, derrière des bouquets de bois, pour que l'ennemi ne puisse pas la compter et faire un projet pour l'enlever.
Vous ne devez jamais donc faire agir la cavalerie dans des terrains marécageux, où elle s'embourberait sans pouvoir avancer; vous ne devez pas l'employer dans de grosses forêts, où elle ne pourrait pas agir; vous ne devez pas43-a la faire attaquer dans un terrain dont le fond est traversé par de profonds chemins creux; et il ne faut point qu'elle approche des bois, d'où l'infanterie la fusillerait. Ne lui faites surtout jamais passer de défilés en présence de l'ennemi, où elle est sûrement battue, à moins qu'on ne seconde ce passage par l'infanterie et le feu du canon. La cavalerie ne peut point agir dans des rochers ou des hauteurs escarpées; ses attaques sont des carrières, il faut donc que le terrain soit uni.
Comme tout est devenu, dans ces guerres, affaires de poste et combats d'artillerie, il faut avoir grand soin de ne point exposer votre cavalerie mal à propos à ce feu terrible, qui la détruirait sans qu'elle eût seulement occasion de se défendre; il faut donc lui choisir des fonds qui lui servent d'abris contre le feu du canon, et la réserver toute fraîche pour le moment où son tour <39>viendra d'être employée. Ce moment est celui où le canon de l'ennemi commence à se ralentir, où son infanterie a déjà tiré; alors, si votre infanterie n'a pas décidé l'affaire, et si la montée à l'ennemi n'est pas trop âpre, faites charger votre cavalerie en colonne sur cette infanterie, comme nous l'avons fait à Zorndorf et à Torgau, et vous obtiendrez la victoire.
Si vous êtes dans une plaine, s'il se peut, ayez quelques bataillons à l'extrémité de votre cavalerie; si même l'ennemi la repousse, votre feu de canon et de cette infanterie lui donne le temps de se remettre et de charger de nouveau l'ennemi. Si vous êtes dans un poste, garantissez également la cavalerie contre le canon de l'assaillant, servez-vous-en pour rafler les attaques de l'ennemi déjà à moitié détruit par votre feu de mitraille, et pour poursuivre l'ennemi, après que vous l'avez repoussé. Enfin, si le terrain le permet, la cavalerie doit toujours, le plus qu'il est possible, être sous la protection de votre canon; l'infanterie et la cavalerie doivent toujours se soutenir mutuellement, et, par de telles dispositions, si elles sont bien faites, ces deux corps deviennent presque invincibles.
ARTICLE XXXIV. DES HUSSARDS.
Nous prétendons de nos hussards qu'ils rendent les mêmes services dans les batailles que les cuirassiers et les dragons. Ils peuvent être en seconde ligne, ou sur le flanc des lignes de cavalerie, soit pour le couvrir, ou pour déborder l'ennemi dans l'attaque et lui tomber à dos. Si l'ennemi est battu, ils le poursuivent, et la cavalerie pesante les soutient. Dès qu'il s'agit d'attaquer l'infanterie, je préfère les cuirassiers aux autres, parce qu'ils se confient en leur cuirasse.
Lorsqu'on détache les hussards, et qu'ils ont une grande traite à faire, il faut faire garnir quelque défilé par où ils sont obligés de retourner; on y envoie des dragons avec quelques petits canons; c'est pour leur tenir le dos libre et pour ne pas les exposer <40>à être détruits au retour. Ces dragons peuvent mettre pied à terre et protéger la retraite par leur feu.
On peut, avec des hussards, prendre des villes lorsqu'il n'y a pas de l'infanterie pesante qui les défend; c'est ainsi que nous prîmes Pégau.45-a Une chaussée va à la porte de la ville, où il y a une tour sur laquelle l'ennemi avait quelques gens pour la défendre. On fit mettre pied à terre à cinquante hussards, avec des poutres, pour enfoncer la porte. Le régiment était à cheval, hors de la portée du fusil; dès que la porte fut brisée, il se mit en carrière, traversa la ville, et prit tout ce qu'il y avait dedans. La même année 1757, nous primes de même Neumarkt,45-b gardé par deux bataillons de pandours; un régiment45-c qui avait tourné la ville les atteignit lorsqu'ils se sauvaient par une autre porte, et les fit tous prisonniers, tandis que d'autres forcèrent, de même qu'à Pégau, la porte de Parchwitz.
Un excellent usage des hussards est de les envoyer recueillir des nouvelles; il faut par eux être averti du moindre mouvement qui se fait dans l'armée ennemie. Il faut toujours avoir des partis en campagne; ils peuvent même tourner l'ennemi et vous rendre compte de ce qui se passe sur ses derrières. Par eux, dans un pays étranger, on acquiert en peu de temps la connaissance des chemins et du pays; ce sont vos oreilles et vos yeux.
ARTICLE XXXV. DES BATAILLONS FRANCS.
On peut tirer un parti admirable des troupes légères d'infanterie, quoique celles que nous pourrons avoir ne seront pas excellentes, comme de nouvelles levées, faites à la hâte, ne sauraient l'être. Ces troupes, quelles qu'elles soient, deviennent utiles <41>quand on les emploie bien. Dans les attaques, donnez-leur la première ligne, comme vous trouverez que je l'ai marqué dans mes plans; il faut qu'ils aillent à tête baissée sur l'ennemi, pour attirer son feu et mettre quelque confusion parmi les troupes, ce qui facilite le chemin de la seconde attaque, qui, venant serrée et en bon ordre, en aura meilleur marché de l'ennemi. Toutefois, et quand on veut faire attaquer des bataillons francs, il faut qu'ils aient de l'infanterie pesante et réglée derrière eux, et que la crainte de leurs baïonnettes les oblige d'attaquer vivement et avec ardeur.
Dans des affaires de plaine, il faut jeter les bataillons francs à l'extrémité des ailes qu'on refuse, où ils peuvent couvrir le bagage; mais ils deviennent vraiment utiles dans des pays coupés, lorsque l'on en fait une chaîne devant le front et les flancs de l'armée, soit dans des villages, derrière des ruisseaux, en garnissant des bois, et, tels qu'ils sont, ils vous garantissent de toute surprise, parce que l'ennemi ne saurait vous attaquer qu'après les avoir chassés, ce qui vous donne un temps suffisant pour vous ranger en bataille. Si vous campez dans des terrains fourrés ou montagnes difficiles, ils doivent faire des patrouilles, et, dans de pareils pays, vous pouvez vous en servir pour tout ce qui est surprise, comme les hussards l'exécutent dans les plaines. Cependant il ne faut jamais confier des postes importants, et qui doivent être stables, à cette espèce de troupes, parce qu'elle manque de solidité, et l'on serait bien loin de son calcul, si l'on était assez peu avisé de les employer à ce qu'ils n'entendent pas.
ARTICLE XXXVI. DE L'ARTILLERIE DE CAMPAGNE.
Depuis que l'artillerie est devenue un point si essentiel à nos guerres, je ne saurais me dispenser d'en dire un mot, pour que tout général qui se trouve en avoir sous ses ordres, surtout dans des détachements, connaisse tout le parti qu'on en peut tirer. La règle est chez nous que chaque bataillon de la première ligne est <42>muni de deux pièces de six livres et d'un obusier de sept; la seconde ligne n'a que deux canons de trois livres; les brigades ont chacune une batterie de dix pièces de douze livres, et les plus gros canons, les véritables pièces de batterie, sont sur les ailes des deux lignes. Outre cette artillerie, on a destiné pour chaque armée quarante obusiers de dix livres. Ce plan général est calculé de sorte qu'au besoin on trouve sous sa main des canons de tel calibre qu'on juge à propos de s'en servir, et qu'on place comme le besoin le demande. Vous aurez vu, dans les plans précédents, comme on dispose ces batteries pour soutenir des attaques, soit dans la plaine, soit de villages, soit de hauteurs. Les officiers d'artillerie doivent s'imprimer, à cette occasion, qu'il ne suffit pas de tirer beaucoup et vite, mais de bien viser et de bien diriger leur feu, pour le concentrer du côté de l'attaque, et pour détruire, autant qu'ils peuvent, les batteries qui tirent sur nos gens; car le fantassin ne peut pas tirer en marchant à l'ennemi, et il serait détruit par son feu, si le secours de nos batteries ne le secondait pas. Si l'ennemi occupe une hauteur, il faut chercher des hauteurs pour y faire des batteries; s'il ne s'en trouve point, servez-vous des obusiers, qu'ils fassent un feu qui se croise sur l'endroit où est le point du poste ennemi que vous voulez attaquer; c'est l'unique moyen d'entreprendre une chose aussi difficile. Mais si vous ne pouvez employer ni canon, ni obusier, il faut renoncer à votre projet et raffiner sur un autre moyen pour débusquer votre ennemi de son poste.
L'artillerie rend donc des services essentiels aux attaques de poste; elle en rend de plus importants encore quand il faut en défendre. Un poste bien avantageux doit priver l'assaillant de sa cavalerie, de son canon et, pour ainsi dire, de son infanterie même, car la cavalerie ne saurait soutenir une aussi impétueuse canonnade qu'elle aurait à essuyer, si elle vous approchait de trop près. Vos hauteurs empêchent que l'ennemi se serve de son canon, qui ne peut tirer du bas en haut; et son infanterie, qui n'ose point tirer en attaquant, marche à vous comme ayant un bâton blanc à la main. Pour obtenir tous ces avantages, il faut que vous lardiez de canon les principaux points d'attaque de votre poste, que vos batteries tirent en écharpe, que les canon<43>niers visent bien, qu'ils connaissent toutes les distances et se servent à propos de mitraille, qu'on fasse ricocher les canons de six livres, et qu'on avertisse à temps les canonniers quand on veut lâcher de la cavalerie sur l'ennemi.
S'il s'agit de se retirer, toutes les fois qu'on veut abandonner un poste, il faut que le gros canon parte le premier; si la descente de la hauteur est rapide, il faut également renvoyer les pièces de campagne, parce que, si elles versaient en descendant, elles risqueraient d'être perdues, ce qui est une honte pour la troupe. Si votre armée est battue, il faut d'abord songer à sauver le canon qui peut encore l'être; on doit en même temps s'empresser de conduire le plus vite que possible quelques batteries au corps qui couvre la retraite, et au premier poste où l'on rassemble les troupes. Une grande attention que les officiers de l'artillerie doivent avoir outre cela, c'est, dans tous les postes, d'avoir de la munition de réserve, outre la munition ordinaire du canon; il faut qu'il y en ait auprès de chaque brigade, pour qu'on ne soit pas battu faute d'avoir de la poudre et des balles pour se défendre, ce qui peut arriver dans une occasion bien opiniâtre.
Je ne dis rien de l'artillerie légère, parce que les officiers de ce corps savent l'usage qu'on en attend, et qu'ils sont pleinement en état d'exécuter toutes les choses praticables que l'on peut désirer deux.
ARTICLE XXXVII. CE QU'UN OFFICIER DOIT OBSERVER LORSQU'IL EST DÉTACHÉ.
Un général qui conduit bien des détachements donne des marques évidentes de ses talents et de son habileté; c'est le chemin qui le conduit aux commandements des armées, parce qu'en petit il s'est rendu familiers les principes et les règles qui servent de fondement à la conduite des plus grandes armées. Il faut nécessairement qu'il soit entreprenant avec réflexion, c'est-à-dire, qu'il tâche de faire le plus de mal qu'il peut à l'ennemi, après <44>avoir bien médité son projet et l'avoir soutenu d'une bonne disposition. Il doit connaître tous les avantages et désavantages des terrains, pour profiter des premiers et éviter les autres. Il doit d'ailleurs étudier le local du pays, les chemins, les postes dont il peut faire usage en cas de besoin, et connaître plus d'une route pour se retirer, si la supériorité de l'ennemi l'y oblige. Il doit avoir assez de routine pour bien savoir raisonner ses positions, comme celles de l'ennemi, pour savoir se défendre avec habileté, et attaquer en prenant ses plus grands avantages. Il doit sans cesse penser à de nouveaux projets, car l'unique façon de faire que l'ennemi soit tranquille, c'est de lui donner le plus d'occupation que l'on peut. Il doit envisager chaque camp qu'il prend comme un champ de bataille, parce qu'il peut y être attaqué d'un jour à l'autre, faire une sage disposition de défense, et surtout la communiquer et en bien expliquer l'idée et le sens aux officiers qui servent sous lui dans le même corps. Il faut, de plus, qu'à droite et à gauche, et derrière lui, il ait des lieux qu'il ait fait reconnaître pour y camper, s'il croit se voir obligé, par de bonnes raisons, de quitter son poste. Il doit s'être rendu la tactique assez familière pour régler toutes ses marches sur ses principes; surtout il faut qu'il pense à ses arrière-gardes, qui, dans ses mouvements, risquent continuellement d'être entamées. Il doit être dans une continuelle méfiance, se défier de tout ce que l'ennemi peut entreprendre, toujours supposer ce qui pourrait lui arriver de plus nuisible, pour s'en garantir, tenir la main à la discipline la plus exacte, pour que ses ordres soient bien exécutés, et obliger les officiers à la plus grande exactitude dans le service et à une vigilance égale à la sienne. Il faut surtout qu'il se garde de surprise, et qu'il pourvoie, par ses bonnes dispositions, aux échauffourées qu'on pourrait lui donner à la faveur de la nuit et des ténèbres. C'est dans les détachements que les partis et les patrouilles sont le plus nécessaires; il les faut considérer comme les yeux et les oreilles du général qui les commande. Si ce détachement sort de l'armée pour prendre poste à quelque défilé que l'armée veut passer, il faut que le général s'y retranche et fasse ferme; si c'est pour observer l'ennemi, le lieu même n'est pas si important, <45>pourvu qu'il puisse bien observer; s'il est détaché sur les flancs de l'ennemi pour lui donner des jalousies, il faut que le général soit alerte pour ne pas être accablé par le nombre; s'il est envoyé à dos de l'ennemi, à moins qu'il ne trouve un poste absolument inattaquable, il en doit changer souvent, ou, s'il séjourne, il court le risque d'être écrasé par de plus forts que lui et d'être pris à dos lui-même. Rien ne sert tant, dans ces commissions hasardeuses, que l'intelligence du chemin; un homme habile sauve son corps et le soustrait à la poursuite de l'ennemi, en se jetant dans des pays fourrés, se couvrant de villages, de marais, de ruisseaux et de bois, et, quelque détour qu'il fasse, il se couvre de gloire par sa fermeté et l'art qu'il a mis dans sa retraite. Bien des corps de troupes ont été perdus par l'incertitude des commandants, qui ne savaient pas se résoudre et se déterminer eux-mêmes; tout est perdu quand le commandant perd lui-même la tête. Voilà ce qui arriva au général Finck, à Maxen;51-a son irrésolution et sa mauvaise disposition causèrent sa perte, car a-t-on jamais vu mettre des hussards sur une montagne pour la défendre? Mais, dira-t-on, que faut-il faire, si, étant détaché, on se trouve attaqué malgré toutes les mesures que l'on a prises pour ne point être surpris? Je réponds qu'il faut vendre sa vie le plus chèrement que l'on peut, faire perdre, par sa défense vigoureuse, à l'ennemi autant de monde que votre corps est fort; alors votre honneur est sauvé. Mais quiconque capitule à la tête d'un corps qu'il commande est un infâme; ou bien l'attachement à son misérable bagage l'a déterminé à cette lâcheté, ou bien une poltronnerie non moins exécrable.
Je conseille à tous ceux qui ne préfèrent pas leur réputation et leur honneur à l'intérêt et à leur propre vie de ne jamais embrasser le parti des armes, parce que tôt ou tard leurs vices perceront et les rendront un objet de mépris et d'indignation.
<46>ARTICLE XXXVIII. DE LA GUERRE DE CONTENANCE.
Une grande qualité pour un officier, c'est d'être impénétrable à l'ennemi, et de lui savoir dérober tous les mouvements qu'on veut faire. Cela dépend du secret et de la façon dont on masque ses projets. Cette qualité devient essentielle pour tous ceux qui commandent à des corps plus faibles que ceux qui leur sont opposés; on appelle cette espèce de défensive guerre de contenance. Elle consiste en effet à tenir bonne contenance, à en imposer à l'ennemi, et à savoir mettre en usage toutes sortes de ruses pour parvenir à ses fins, qui sont de s'opposer à lui sans être battu. Cela se fait dans les campements; avant un bon défilé devant vous, vous campez vos troupes en perspective, de sorte qu'elles paraissent du double plus fortes qu'elles ne sont, soit en faisant paraître quelques tentes le long des bois, soit en occupant la cime des monticules sans garnir les fonds, ce qui de loin vous donne l'apparence d'avoir bien plus de troupes que vous n'en avez effectivement. Dans des marches, surtout par des terrains fourrés, pour désorienter l'ennemi, vous faites paraître des têtes de colonnes, comme si vous vouliez marcher d'un côté, tandis que vous tournez d'un autre, ce qui le trompe, et, séduit par des apparences, il vous attend à l'endroit où vous n'avez pas dessein d'aller. Dans les retraites, en faisant fortifier votre camp la veille de la nuit que vous vous proposez de l'abandonner. Dans les arrière-gardes, en faisant semblant de tenir ferme derrière un défilé que vous abandonnez subitement, après en avoir occupé un autre derrière vous. Enfin je ne finirais pas, si je voulais vous marquer en détail toutes les différentes ruses que la guerre de contenance fournit; il suffit d'en avoir rapporté quelques échantillons. Ceux qui voudront l'étudier en trouveront assez dans ce précis pour donner carrière à leur imagination, et cette étude est d'autant plus indispensable, que tout officier qui commande un détachement doit du moins en avoir une bonne idée, ne fût-ce que pour ne se pas tromper aux ostentations de l'ennemi. Il vaut <47>encore mieux savoir exécuter ces choses, car souvent on en a besoin. J'exhorte donc et je prie mes officiers de se rendre toutes ces idées familières; j'ai resserré la matière autant que je l'ai pu, pour rendre les principes plus faciles à retenir; mais il faut s'exercer sur les terrains, acquérir l'habitude d'en juger bien et facilement, se rappeler les règles de la tactique, faire soi-même des dispositions, et les examiner' si elles sont bien solides, soit de marches, d'avant-gardes, d'arrière-gardes, de camps, d'attaques et de défenses, penser soi-même à la guerre de contenance, et ainsi se préparer, pendant la paix, à pouvoir se distinguer pendant la guerre. Ceux qui emploieront leur temps de cette façon en recueilleront des fruits excellents dès que les hostilités commenceront, et se feront estimer de tout le monde, sans compter l'honneur et la gloire qui leur en reviendra.53-a
Sans-Souci, 12 novembre 1770.
Federic.
10-a Du 18 septembre au 7 octobre 1760. Voyez t. V, p. 84-89.
11-a Balles à feu.
15-a Voyez t. IV, p. x et 160; t. V, p. 13 et suivantes. Nous avons toujours imprimé Schmuckseiffen, d'après Büsching et quelques cartes géographiques; mais la véritable orthographe du nom de ce village est Schmottseiffen. parce qu'il dérive, selon les renseignements fournis par M. J. Bürgel, pasteur du lieu, de St. Matthaei-Seiffen; et non de St. Nepomucks-Seiffen, comme d'autres l'ont cru.
15-b Voyez t. V, p. 13 et suivantes; t. XXIII, p. 62.
16-a Voyez t. V, p. 27.
17-a Voyez t. IV, p. VII-X.
17-b Voyez t. V, p. 11 et suivantes.
17-c L. c., p. 12 et 129.
17-d L. c., p. 51.
18-a Voyez t. V, p. 34.
19-a Voyez t. V, p. 28.
3-a Voyez t. IV, p. III, t. XXVI, p. XII et XIII.
3-b Voyez, t. XXVIII, p. 1-107.
37-a Voyez t. IV, p. x, 227 et 228.
43-a On lit dans l'édition de 1771, p. 70 : « Vous ne devez que la faire attaquer; » ce qui forme un contre-sens évident. Nous substituons le mot pas au mot que avec d'autant plus de raison, que la traduction officielle de 1771 porte, p. 78 : Ihr sollt sie eben so wenig in einem Terrain agiren lassen, etc.
45-a Voyez t. IV, p. 162.
45-b L. c., p. 184.
45-c Le régiment de Zieten. Voyez Lebensbeschreibung Hans Joachims von Zieten, troisième édition, Berlin, 1805, t. II, p. 84 et 85, et notre t. IV, p. 184. Cette affaire eut lieu le 4 décembre 1757.
51-a Voyez t. V, p. 31 et suivantes.
53-a Voyez t. XXVIII, p. 107 et 113.