<52>encore bien éloignés d'être réalisés. Le comte Bestusheff, qui se crut affermi depuis qu'il avait fait chasser de Russie M. de La Chétardie, engagea l'impératrice Élisabeth à faire le voyage de Moscou pour s'y faire couronner, et ensuite à entreprendre le pèlerinage de Kiowie en faveur de je ne sais quel saint. L'Impératrice avait des favoris; Bestusheff voulut leur susciter des rivaux. Il y avait à Troizkoi un archimandrite dont la réputation était étonnante en fait de vigueur. Bestusheff trouva le moyen de lier ce moine avec une femme de chambre d'Élisabeth. Cette femme fit part à sa maîtresse de la découverte admirable qu'elle venait de faire, et des preuves miraculeuses que cet archimandrite savait donner de son amour. L'Impératrice voulut s'assurer de telles merveilles par sa propre expérience. L'archimandrite lui fut présenté. Ni sa barbe longue et dégoûtante, ni ses cheveux crépus, ni les exhalaisons puantes qui sortaient de son corps ne lui firent de tort : il fut aimé et trouvé supérieur à sa réputation. Cette nouvelle flamme rendit l'Impératrice invisible à sa cour : les affaires languirent; elle ne respira, elle ne vécut que pour adorer ce nouvel Hercule. C'était le triomphe du ministre : bientôt les ordres furent donnés, que ceux qui avaient à négocier avec la Russie, au lieu de s'adresser à l'Impératrice, devaient dorénavant s'adresser à son ministre. Ce nouvel arrangement valut de grosses sommes au comte de Bestusheff; et M. de Mardefeld s'aperçut à regret que les guinées anglaises commençaient à gagner plus de crédit chez ce ministre que les écus prussiens. Dans tous les projets que l'on forme, il faut se contenter des à peu près : l'alliance de la Russie n'était pas telle qu'on aurait pu la désirer; mais en poussant la guerre avec vigueur, le Roi pouvait espérer de la finir, avant que la Russie, lente dans ses résolutions, en eût pris d'assez décisives pour le gêner dans ses opérations de campagne.

Tel était l'arrangement général qui fut pris pour entrer en Bohême, et pour forcer la Reine à rappeler ses troupes de l'Alsace. La grande armée prussienne devait entrer sur trois colonnes en Bohême; celle que le Roi voulut conduire, devait longer la rive gauche de l'Elbe, en la remontant jusqu'à Prague; la seconde, sous la conduite du prince Léopold d'Anhalt, devait traverser la Lusace, et, gardant l'Elbe à droite, se rendre en même temps à