<152>siennes se repliaient, ils firent avancer leurs piquets avec de l'artillerie, et canonnèrent beaucoup, mais sans effet. Tout ce qu'ils avaient de musiciens et de trompettes faisaient des fanfares; leurs tambours et leurs fifres faisaient des réjouissances, comme s'ils avaient gagné une victoire. Quelque fâcheux que fût ce spectacle pour des gens qui n'avaient jamais craint d'ennemi, il fallut dans ces circonstances le considérer avec des yeux indifférents, et opposer le flegme allemand à l'étourderie et à la fanfaronnade française.

On apprit, la nuit même, que l'ennemi faisait un mouvement de sa gauche à sa droite : les hussards se mirent en campagne dès la pointe du jour; ils entrèrent dans le camp que les Français venaient de quitter, et ils apprirent des paysans que les Français avaient pris le chemin de Weissenfels. Peu après, un corps assez considérable se forma vis-à-vis de la droite des Prussiens; il avait l'aspect d'une arrière-garde, ou d'une troupe qui couvre la marche d'une armée. Les Prussiens tenaient peu de compte de ces mouvements, parce que leur camp était couvert, tant le front que les deux ailes, par un marais impraticable, et qu'il n'y avait que trois chaussées étroites par lesquelles on pût venir à eux. On ne pouvait donc prêter que trois desseins à l'ennemi : celui de se retirer, par Freybourg, dans la haute Thuringe, parce que les subsistances lui manquaient; celui de prendre Weissenfels, mais les ponts en étaient détruits; ou celui de gagner Mersebourg avant le Roi, pour lui couper le passage de la Saale : or, l'armée prussienne en était beaucoup plus près que celle des Français; cette manœuvre était d'autant moins à craindre, qu'elle menait à une bataille dont on pouvait se promettre un succès heureux, puisqu'on n'aurait point de poste à forcer. Le Roi envoya beaucoup de partis en campagne, et attendit tranquillement dans son camp jusqu'à ce que les intentions des ennemis se fussent plus clairement développées; car un mouvement fait à contre - temps ou précipité aurait gâté toutes les affaires. Des nouvelles, tantôt fausses, tantôt vraies, que rapportaient les batteurs d'estrade, entretinrent cette incertitude jusque vers midi, qu'on aperçut la tête des colonnes françaises, qui, à une certaine distance, tournaient la gauche des Prussiens. Les troupes des cercles se perdirent aussi insensiblement de leur vieux camp, de sorte que ce corps qu'on prenait pour une arrière-garde, et qui était en effet la réserve de M. de Saint-Germain, demeura seul vis-à-vis des Prussiens. Le Roi fut lui-même reconnaître la marche de M. de Soubise, et il fut convaincu qu'elle était dirigée sur Mersebourg : les Français marchaient très-lentement, parce qu'ils avaient formé différents bataillons en colonnes, qui les arrêtaient chaque fois que les chemins étroits les obligeaient de se rompre.

Il était deux heures lorsque les Prussiens abattirent leurs tentes; ils firent un quart de conversion à gauche et se mirent en marche. Le Roi côtoya l'armée de M. de Soubise; ses troupes étaient couvertes par le marais qui vient de Braunsdorf, et qui, s'étendant à un gros quart de lieue de là, se perd à deux mille pas de Rossbach. M. de Seydlitz faisait l'avant-garde du Roi avec toute la cavalerie; il eut ordre de se glisser par des bas-fonds dont cette contrée est remplie, pour tourner la cavalerie française, et fondre sur les têtes de leurs colonnes avant qu'elles eussent le temps de se former. Le Roi ne put laisser au prince Ferdinand, qui commandait ce jour-là la droite de l'armée, que les vieilles gardes de la cavalerie, qu'il mit sur un rang pour en faire montre; ce qui se pouvait d'autant mieux, qu'une partie du marais de Braunsdorf couvrait cette droite. Les deux armées, en se côtoyant, s'approchaient toujours davantage. L'armée du Roi tenait soigneusement une petite élévation qui va droit à Rossbach; celle des Français, qui ne connaissait pas apparemment le