<173>l'Alle pour se porter en droiture sur Königsberg : il fallait bien qu'il ne prît pas cette expédition fort à cœur; car ayant trouvé un corps prussien qui lui disputait le passage de cette rivière, il se désista de son entreprise. Dix jours après, il décampa subitement de Jägersdorf, et se retira vers les frontières de la Pologne. Le maréchal de Lehwaldt le suivit pour la forme jusqu'à Tilsit, moins dans le dessein d'engager quelque affaire d'arrière-garde que pour en imposer au public. La disproportion des forces était trop grande entre ces deux armées, et l'échec qu'il avait reçu était trop récent; d'ailleurs il obtenait son but sans courir de risques; car l'ennemi se retirant de soi-même en Pologne, il n'y avait qu'à le laisser tranquillement poursuivre sa marche : M. d'Apraxin évacua toute la Prusse, à l'exception de Memel, dont les Russes demeurèrent en possession.
L'armée prussienne s'arrêta aux environs de Tilsit, trop heureuse de s'être débarrassée d'un ennemi aussi formidable, à si bon marché. Mais si elle avait échappé aux malheurs qui la menaçaient dans cette campagne, il n'était pas probable qu'elle jouît à la longue de la même fortune. Quand même le maréchal de Lehwaldt eût possédé tous les talents du prince Eugène, comment pouvait-il dans la suite de la guerre résister avec vingt-quatre mille Prussiens à cent mille Russes? Le Roi avait tant d'ennemis à combattre, et ses troupes étaient si considérablement fondues, qu'il lui était impossible d'envoyer des secours à son armée de Prusse; il était à craindre, et l'on pouvait même le prévoir, que les Russes, étendant leurs connaissances et leurs vues, ne corrigeassent les fautes qu'ils avaient faites, et ne détachassent, en ouvrant la campagne suivante, un corps considérable vers la Vistule, qui mettrait M. de Lehwaldt au risque d'être coupé de la Poméranie. On avait tout lieu de croire qu'étant entouré par des ennemis aussi nombreux, il aurait le même sort que le duc de Cumberland, avec la différence que les Russes, moins polis que les Français, l'auraient contraint de mettre les armes bas.
D'une autre part, les Suédois n'avaient fait des progrès en Poméranie que parce qu'ils n'avaient rencontré aucune résistance; ils étaient en possession d'Anclam, de Demmin, et du fort de Peenemünde, qu'ils avaient pris après un siége de quinze jours.