<179>tement traversées par le grand chancelier Bestusheff, et ils résolurent de le culbuter, comme en effet ils y réussirent. Nous avons dépeint dans cet ouvrage ce comte Bestusheff comme un homme qui, par passion, s'était fait un principe d'être l'ennemi juré des Prussiens. Deux raisons, ayant altéré ces sentiments de haine, avaient influé sur son changement de conduite : l'une était sa forte pension, que les Anglais continuaient de lui payer, et l'autre, la possession où le Roi se trouvait des archives de Dresde. On avait trouvé dans ces archives une lettre où il conseille au comte de Brühl de se défaire par le poison d'un résident russe à Varsovie, dont ces deux ministres étaient également mécontents, comme lui, disait-il, s'était défait du sieur de Castéras, dont il craignait l'esprit délié. M. de Bestusheff n'avait point de répugnance pour commettre des crimes, mais il ne voulait pas qu'on le sût; et la crainte que cette lettre odieuse ne fût publiée, l'engagea de promettre au Roi de lui rendre des services importants, pour qu'il consentît à la supprimer. C'était à quoi le Roi fut facile à disposer, et le ministre fut exact, de son côté, à remplir son engagement : car il dressa l'instruction du maréchal Apraxin d'une manière aussi favorable aux intérêts du Roi que les conjonctures le permettaient; ce fut l'unique cause de ce que les Russes évacuèrent les États du Roi à la fin de la campagne. M. de Bestusheff fut encouragé dans cette conduite par les conseils du grand-duc et de la grande-duchesse de Russie, qui tous les deux avaient les sentiments les plus favorables pour la cause du Roi. Le Grand-Duc, prince de Holstein par sa naissance, avait puisé dans l'histoire de ses ancêtres une haine implacable contre les Danois, causée par les injustices criantes que les rois de Danemark avaient faites à sa famille; le Grand-Duc, craignant alors que les affaires du Roi ne prissent une tournure qui l'obligeât à se lier avec les Danois, lui offrit son crédit et tous les services qu'il pourrait lui rendre en Russie, pourvu qu'il n'entrât en aucun engagement avec ces ennemis constants du Holstein. Le Roi accepta l'offre; il promit de ne faire aucun traité avec le Danemark, et quoique cette condescendance ne lui valût pas d'avantages récents, on verra, par la suite de cet ouvrage, que cette liaison étroite avec le grand-duc de Russie bouleversa les grands projets des Autri-