<129>Un malheur aussi imprévu dérangea toutes les mesures du Roi; il fallut abandonner ses projets, changer de plan, et ne plus penser pour le reste de la campagne qu'à conserver ce qu'on pouvait maintenir de forteresses et de pays contre la grande supériorité des ennemis. L'armée marcha à Strehlen, où elle s'établit à demeure, afin de couvrir également Neisse, Brieg, et Breslau. Le Roi avait, par précaution, fait retrancher un camp auprès de Breslau. L'intention première avait été de s'en servir pour les détachements qui s'approchaient souvent de cette capitale, et où ils auraient pu se soutenir contre l'ennemi jusqu'à l'arrivée de l'armée du Roi. Dans les circonstances où l'on se trouvait alors, l'armée aurait pu s'en servir elle-même : les Prussiens avaient une marche de moins pour y arriver que l'ennemi. Dès lors le Roi se trouvait restreint à une défensive rigoureuse; mais il ne fallait pas que M. Loudon pût s'en douter, parce que ce secret, connu, lui aurait donné gain de cause sur les Prussiens. Pour mieux déguiser ses intentions, le Roi donna des ordres à l'armée pour que les troupes se préparassent au combat, qu'on rechargeât les fusils, qu'on aiguisât les lames des épées, et qu'on distribuât des munitions suffisantes à l'artillerie; enfin on ne parlait que de grands préparatifs et de grands projets. Des espions autrichiens connus, qui étaient dans l'armée, partirent sur-le-champ pour en instruire M. Loudon, et ce qui peut-être paraîtra incroyable à la postérité, c'est que cette armée autrichienne et russe, campée sur les montagnes de Kunzendorf, à trois marches des Prussiens, passa huit nuits au bivouac, comptant certainement d'être attaquée d'un moment à l'autre.
M. Czernichew pressait fortement le général autrichien de marcher sur Breslau. La raison de guerre et les raisons de politique l'exigeaient ainsi; car M. Loudon, en portant sa grande armée dans la plaine, aurait débordé les Prussiens de tous les côtés; il les aurait abîmés, et aurait eu l'honneur d'avoir terminé la guerre. Il s'excusa à M. de Czernichew de ce qu'il ne pouvait s'avancer si loin dans le pays, à cause que les vivres lui manquaient, de même que les chevaux pour le transport. M. Loudon cachait sa véritable raison de ne rien entreprendre : il craignait de s'exposer dans la plaine, parce que les Autrichiens y avaient