<161>mettre cette matière sur le tapis dans des conversations familières qu'ils avaient avec ce monarque; mais ce fut en pure perte qu'on lui dit que dans un pays où régnaient des mœurs aussi féroces qu'en Russie, un souverain ne pouvait prendre assez de précautions pour la sûreté de sa personne. « Écoutez, répondit-il enfin, si vous êtes de mes amis, ne touchez plus cette matière, qui m'est odieuse. » Il fallut alors garder le silence, et abandonner ce pauvre prince à la sécurité qui le perdit.

Les dieux pour perdre Troie aveuglèrent nos jeux.Virgile,

Énéide

, livre II.

Ces choses n'empêchèrent pas que les négociations pour la paix et pour l'alliance n'allassent grand train. Dès le commencement de juin, l'Empereur envoya au Roi le comte de Schwerin avec le traité de paix et d'alliance signé, et avec un ordre au comte de Czernichew, qui était à Thorn, de se mettre incessamment en marche pour joindre l'armée du Roi et faire conjointement avec elle la guerre aux Autrichiens. Les Suédois, qui se trouvaient, après ce revirement de système, abandonnés de leur plus puissant appui, furent obligés de faire la paix, de crainte du mal qui leur en pouvait arriver, s'ils tardaient davantage. Le Roi reçut une lettre d'apparat de la reine sa sœur, dictée par le sénat de Stockholm. Il y répondit dans le sens que la Reine pouvait le désirer, en lui témoignant le plaisir qu'il ressentait de voir se terminer une guerre entre de si proches parents; que, par amitié pour la reine sa sœur, il voulait bien oublier les procédés irréguliers et étranges de la nation suédoise, sans en conserver de ressentiment; que s'il faisait la paix, c'était uniquement pour elle, à condition toutefois que les choses seraient remises exactement sur le pied où elles avaient été avant le commencement de ces troubles. Comme la crainte pressait les Suédois à conclure cette négociation, elle fut. promptement terminée. Les plénipotentiaires des deux cours s'assemblèrent à Hambourg, et ils signèrent les préliminaires avant la fin du mois de juin.a


a Les plénipotentiaires des deux cours signèrent la paix définitive à Hambourg le 22 mai 1762.