<187>chimérique par un de ces événements inattendus et subits qui renversent les mesures des hommes. Une révolution avait changé la face de la Russie. M. de Czernichew en donna la première nouvelle au Roi. Il vint une après-midi lui dire, la larme à l'œil, que Pierre III venait d'être détrôné par l'Impératrice son épouse; qu'il avait reçu l'ordre du sénat de faire prêter serment par son corps à sa nouvelle souveraine, et de quitter incessamment l'armée prussienne pour se retirer en Pologne. Dans la situation où le Roi se trouvait, au milieu des opérations d'une campagne dont les entreprises étaient fondées sur l'assistance des Russes, cette nouvelle lui fut un coup de foudre. Quelque cruel que fût ce coup, il fallait prendre son parti, parce que le mal était sans remède, et recourir à ses propres ressources, puisque les étrangères venaient à manquer.

Voici cependant la manière dont cette funeste révolution se fit. Il y avait longtemps qu'une certaine froideur régnait entre l'Empereur et son épouse. Elle avait pris naissance à l'occasion d'une intrigue de galanterie que cette princesse avait entretenue avec un comte Po-niatowski. Cette froideur pensa devenir une rupture ouverte depuis l'avénement de Pierre au trône, à cause que l'Impératrice s'était attribué de certaines prérogatives dans les églises grecques, qui n'appartiennent qu'à la personne même du souverain. L'Empereur, jaloux de son autorité, l'apprit et en fut vivement irrité. Dans les premiers moments de son emportement, il voulut faire enfermer son épouse dans un couvent. Il s'ouvrit de ce dessein au duc de Holstein son oncle. Ce prince, d'un génie faible et borné, en dissuada l'Empereur, et lui conseilla de borner son ressentiment à une réprimande sévère qu'il ferait à l'Impératrice. Pierre III eut l'imprudence de menacer du couvent une princesse qu'il fallait y mettre sans l'avertir, ou qu'il fallait ménager davantage. L'Impératrice cacha la colère et le désir de vengeance dont elle était animée, par des dehors d'abattement et des larmes feintes. Dès ce moment, elle conçut le dessein d'usurper le trône et de se défaire de son époux.

Le gouverneur du grand-duc son fils, le comte Panin, fut le premier complice qu'elle s'associa. Ce seigneur, dont l'ambition n'avait point de bornes, voulait être le premier personnage de