<85>Ayant bien mûrement examiné et pesé toutes ces raisons, il fut résolu de commettre la fortune de la Prusse au sort d'une bataille, si toutefois on ne pouvait parvenir par des manœuvres à déposter le maréchal Daun du poste de Torgau, qu'il occupait. Il est bon d'observer que les espèces de jalousies qu'on pouvait lui donner, ne pouvaient rouler que sur ces deux objets : l'un, de gagner avant lui Dresde, où l'on n'avait laissé qu'une faible garnison; et l'autre, de s'approcher de l'Elbe, pour lui donner des appréhensions pour ses subsistances, qu'il faisait descendre de Dresde sur cette rivière. Il faut avouer cependant que cette dernière manœuvre ne pouvait guère lui causer d'inquiétude, parce qu'il était maître de toute la rive droite de ce fleuve, et qu'il pouvait faire voiturer par chariots ce que les barques ne pouvaient plus transporter. Ce qui se rencontra de plus difficile dans l'exécution de ce plan, fut de concilier deux choses presque contradictoires, la marche de l'armée sur l'Elbe, et la sûreté du dépôt des vivres. Pour ne point s'écarter des règles, l'armée du Roi, en avançant, ne devait point s'éloigner de sa ligne de défense, par laquelle elle couvrait ses subsistances; et ce mouvement qu'il fallait faire sur l'Elbe, l'écartait tout à fait à droite, en découvrant ses derrières. On tâcha cependant de concilier l'entreprise sur l'ennemi avec la sûreté du dépôt. Le Roi se proposa de se porter à Schilda pour éprouver la contenance du maréchal Daun, et de l'attaquer à Torgau s'il était obstinément résolu à s'y maintenir. Comme il n'y avait qu'une marche pour se rendre à Schilda, si le maréchal se retirait sur ce mouvement, il n'y avait point à craindre qu'il entreprît sur Düben, et s'il demeurait à Torgau, en l'attaquant le lendemain il était apparent qu'on lui donnerait tant d'ouvrage, qu'il n'aurait pas le temps de former des projets pour ruiner les magasins du Roi.

Tout conspirant donc à confirmer le Roi dans la résolution qu'il avait prise, il fit marcher le 2 de novembre l'armée à Schilda; il fut, tout le chemin, avec l'avant-garde des hussards, pour observer de quel côté se retireraient les postes avancés de l'ennemi, à mesure qu'ils seraient poussés par les troupes du Roi. On ne fut pas longtemps en doute; les détachements se retirèrent tous à Torgau, à l'exception de M. Brentano, qu'on attaqua à Belgern,