<88>quel on ne peut passer que par deux chaussées étroites. Sans doute que si ce corps se fût établi sur le terrain avantageux où il était, il n'y aurait point eu de bataille; quelque ferme volonté que le Roi eût d'attaquer les Impériaux, cela lui devenait impossible; il aurait fallu renoncer à tout ce projet, et rebrousser bien vite pour regagner Eilenbourg. Mais les choses tournèrent tout autrement.
Ces bataillons se hâtèrent de rejoindre leur armée, à quoi les invitait une canonnade assez forte qu'ils entendaient du côté de M. de Zieten. Le Roi crut, comme il y avait toute apparence, que ses troupes en étaient déjà aux mains avec l'ennemi; cela le décida à passer le défilé de Neiden avec ses hussards et son infanterie; car la cavalerie, qui aurait dû le devancer, n'était pas encore arrivée. Le Roi se glissa dans un petit bois, et reconnut lui-même la position des ennemis. Il jugea qu'il n'y avait de terrain propre à se former devant les Autrichiens qu'en passant ce petit bois, qui mettait en quelque manière ses troupes à couvert, d'où l'on pouvait gagner un ravin assez considérable pour garantir les troupes, tandis qu'on les formait, contre le canon de l'ennemi. Ce ravin n'était à la vérité qu'à huit cents pas de l'armée autrichienne; mais le reste du terrain, qui de Süptitz descend en glacis vers l'Elbe, était tel, que si l'on avait formé l'armée dans cette partie, la moitié en aurait péri avant qu'elle eût pu approcher de l'ennemi. Le maréchal Daun, de son côté, eut de la peine à croire que les Prussiens marchaient à lui; ce ne fut qu'après des rapports réitérés qu'il ordonna que sa seconde ligne fît volte-face, et qu'il fit mener la plupart du canon de sa première ligne à la seconde. Quelque précaution que le Roi prit pour couvrir la marche de ses troupes, elle n'empêcha pas que l'ennemi, qui avait quatre cents bouches à feu en batterie, ne lui tuât beaucoup de monde : huit cents soldats furent tués, et trente pièces d'artillerie, abîmées avec leurs chevaux, leur train et leurs artilleurs, avant que les colonnes arrivassent à l'endroit où on voulait les déployer.
Le Roi forma son infanterie sur trois lignes, dont chacune, de dix bataillons, faisait une attaque. S'il avait eu sa cavalerie, il aurait jeté une couple de régiments de dragons dans un fond