<130>La Russie était l'unique alliée de la Prusse. Cette liaison aurait été suffisante, si l'on n'avait pas eu lieu de craindre qu'une nouvelle guerre éclatant en Crimée n'empêchât l'impératrice de Russie de fournir au Roi les secours qu'elle lui devait selon les traités. D'ailleurs, la cour de Berlin, ayant ménagé toutes les puissances, n'était brouillée avec aucune; mais les soupçons que donnaient les vues ambitieuses de l'Empereur, faisaient pronostiquer avec certitude que le premier événement inattendu donnerait lieu à l'explosion de ce volcan. Il s'était déjà élevé des troubles dans l'Empire, à l'occasion de la Visitation de la chambre impériale à Wetzlar. Ce tribunal de justice, ayant très-injustement rempli ses fonctions, occasionna les plaintes de nombre de princes qui souffraient de ses prévarications. La cour de Vienne, loin de punir ou de chasser les coupables, qui étaient ses créatures, s'obstinait à les soutenir. Le roi de Prusse et le roi d'Angleterre, comme électeurs, avec un parti considérable, contraignirent les Autrichiens à céder sur plusieurs points. L'esprit despotique de l'Empereur en fut choqué, et son ressentiment couvait des projets de vengeance. Enfin, de quelque côté qu'on jetât ses regards, on voyait la tranquillité de l'Europe sur le point d'être troublée.
Pour ne point agir inconsidérément pendant ces conjonctures critiques, il était nécessaire que la Prusse s'entendît avec d'autres puissances, et qu'elle sût au vrai dans quelles dispositions se trouvait la France. Les anciennes liaisons de la cour de Berlin et de celle de Versailles étaient rompues depuis l'année 1756. La guerre qui se faisait alors, l'enthousiasme des Français pour l'Autriche, les efforts qu'ils firent pour écraser le roi de Prusse, phrase qu'ils avaient souvent employée, enfin l'animosité qui s'en était ensuivie, n'avaient pas rapproché les esprits. Ces sortes de plaies sont trop douloureuses pour qu'elles se consolident promptement. Après la paix de l'année 1763, l'animosité se tourna en froideur; ensuite la cour de Berlin s'unit par des traités à celle de Pétersbourg; et il est nécessaire de savoir que l'impératrice de Russie avait une espèce d'aversion pour tout ce qui était français, parce que, du temps de l'impératrice Élisabeth, les ministres des cours de Vienne et de Versailles avaient opté qu'il fallait enfermer dans