<20>rentes contrées où les troupes russes étaient distribuées, avait déjà commencé à s'impatienter, et à différentes reprises il avait manifesté son mécontentement. Cette masse imbécile et faite pour être menée par ceux qui se donnent la peine de la tromper, se laissa facilement séduire par les prêtres; la cause de la religion fut le signal et le mot de ralliement; le fanatisme s'empara de tous les esprits, et les grands profitèrent de l'enthousiasme de leurs serfs, pour secouer un joug qui commençait à leur devenir insupportable.

Déjà s'échappaient des étincelles de ce feu qui couvait encore sous la cendre; peut-être que la prépondérance des cours alliées l'aurait étouffé, si la France, qui, par jalousie, voulait diviser et troubler le Nord à force d'exciter ce feu, n'eût causé l'embrasement général qui s'ensuivit. Le duc de Choiseul était un homme dévoré d'ambition, et qui voulait donner de l'éclat à son ministère; trop prévenu d'un soi-disant testament du cardinal de Richelieu, il avait toujours présente à l'esprit la promesse du cardinal à Louis XIII, qu'il ferait respecter sa monarchie de l'Europe; et lui se proposait de faire respecter Louis XV. Mais les temps et la situation des affaires sous M. de Choiseul étaient en tout dissemblables à celles où se trouvait le cardinal de Richelieu. Premièrement, alors la France n'était point accablée de dettes. En second lieu, depuis le XVIIe siècle, l'Europe avait tout à fait changé : la Russie, à laquelle nous voyons jouer un si grand rôle maintenant, était alors inconnue et barbare; la Prusse et le Brandebourg étaient sans énergie; la Suède brillait, et à présent elle est éclipsée. Et d'ailleurs, quels projets peut former un ministre, quand les moyens de les exécuter lui manquent, et que la crainte d'une banqueroute générale l'oblige à se borner aux intrigues, et à écarter toutes les entreprises hardies qui pourraient le tirer de son inaction? Ces obstacles, qu'on ne pouvait lever, sans calmer l'inquiétude de M. de Choiseul, resserraient son génie; et ne pouvant mettre en action les grands ressorts de la politique, il se contentait de tracasser.

Outre la jalousie que donnait à la France l'élection d'un roi de Pologne à laquelle elle n'avait aucune part, à Versailles on ne pouvait pardonner à l'impératrice de Russie d'avoir abandonné