<25>sées. Quoique les succès étonnants des Russes donnassent de l'ombrage à toute l'Europe, les impressions en étaient bien plus fortes sur les puissances qui se trouvaient dans le voisinage. Ce danger commun rapprocha donc la cour de Vienne et celle de Berlin; un pas en amena successivement un autre. L'Empereur, fâché, comme nous l'avons dit, que l'entrevue proposée l'année 1766 n'eût pas eu lieu, proposa au Roi de lui rendre visite en Silésie; le prince Kaunitz ne s'opposa point à ses volontés; l'Impératrice-Reine y consentit également; cette affaire fut mise tout de suite en négociation, et il fut convenu que l'entrevue serait à Neisse.

L'Empereur voulut garder un incognito parfait : il prit le nom de comte de Falkenstein, et l'on crut ne pouvoir lui rendre plus d'honneur qu'en déférant en tout à ses volontés. Ce jeune prince affectait une franchise qui lui semblait naturelle; son caractère aimable marquait de la gaieté jointe à beaucoup de vivacité. Avec le désir d'apprendre, il n'avait pas la patience de s'instruire; sa grandeur le rendait superficiel : mais ce qui dénotait son caractère plus que tout ce que nous venons de dire, c'étaient des traits qui lui échappaient malgré lui, et qui dévoilaient l'ambition démesurée dont il brûlait. Tout cela n'empêcha pas que des liaisons d'amitié et d'estime ne se formassent entre les deux monarques. Le Roi dit à l'Empereur qu il regardait ce jour comme le plus beau de sa vie, parce qu'il servirait d'époque à l'union de deux maisons trop longtemps ennemies, et dont l'intérêt mutuel était de s'entre-seconder plutôt que de se détruire. L'Empereur répondit qu'il n'y avait plus de Silésie pour l'Autriche; après quoi il laissa entrevoir assez adroitement que, tant que sa mère vivrait, il n'osait se flatter d'avoir assez d'ascendant sur son esprit pour pouvoir exécuter ce qu'il désirait; toutefois il ne dissimula point que, vu la position actuelle des choses en Europe, ni lui ni sa mère ne souffriraient jamais que les Russes demeurassent en possession de la Moldavie et de la Valachie. Il proposa ensuite qu'on prît des mesures pour maintenir une exacte neutralité en Allemagne, au cas qu'il s'allumât une guerre entre l'Angleterre et la France. Ce cas paraissait alors vraisemblable et possible, parce qu'un vaisseau français, enlevé par les Anglais auprès de