<62>défendait, et le port était rempli de frégates turques, dont l'artillerie, fouettant tout le rivage, incommodait beaucoup les troupes russes. M. d'Ungern comprit qu'il lui était impossible de forcer cette place : ayant abandonné ce dessein, il fut, dans sa retraite, vivement harcelé par les Turcs; il y perdit son canon, sans compter une partie assez considérable de son monde. Il regagna cependant le Danube, tandis que, de leur côté, les Turcs s'emparèrent du magasin que les Russes avaient rassemblé pour cette expédition; ce qui les obligea tous à repasser le Danube, et ils rejoignirent leur armée, harassés, affamés, fatigués, et considérablement fondus.
Il semblait alors que la fortune, par un effet de ses caprices, lasse de ce qu'elle avait si constamment favorisé les Russes, voulait passer, par légèreté, dans le parti contraire. Déjà deux expéditions consécutives en Romélie avaient manqué; et comme si ce n'était pas assez, les Cosaques du Don, et ceux qui sont sur le Jaïk, dans le voisinage d'Orenbourg, se révoltèrent. Ils se plaignaient principalement de ce que la cour avait violé leurs privilèges, en les enrégimentant comme des troupes régulières; de ce qu'on avait tiré vingt mille hommes de leurs compatriotes pour les envoyer contre les Turcs; et de ce qu'on épuisait leur province, en lui faisant livrer plus d'hommes et de chevaux qu'elle n'en pouvait fournir. Un vagabond se mit à leur tête; il leur persuada qu'il menait avec lui l'empereur Pierre III, qui voulait détrôner sa femme, l'Impératrice, pour placer sur le trône son fils, le grand-duc. Quelques provinces voisines se joignirent à ces rebelles. Ce nombre, qui augmentait chaque jour, contraignit l'Impératrice à retirer ce qu'elle put de troupes de l'Esthonie, de l'Ingrie et de la Pologne, pour les opposer aux mutins; le général Bibikoff fut mis à la tête de ce corps qu'on avait ainsi assemblé à la hâte; mais quelque diligent qu'il fût, il ne put arriver au royaume de Kasan qu'au mois de mars de l'année 1774.
Tant de contre-temps, qui étonnaient une cour accoutumée à des prospérités continuelles, inspirèrent à l'Impératrice des dispositions plus pacifiques qu'elle n'en avait eu; elle craignit avec raison que le grand nombre des recrues qu'on exigeait des provinces, et qui occasionnait déjà des murmures, ne fît passer les