<70>bourg et de Berlin ne s'en aperçussent point, et ne découvrissent pas ses infâmes manœuvres.
Aussitôt que la paix entre les Russes et les Turcs fut signée, les Autrichiens, comme s'ils avaient rempli leur traité avec la Porte, se mirent sans façon en possession des parties de la Moldavie et de la Valachie qu'ils s'étaient stipulées, bien assurés que, dans ce moment, la Porte ne trouverait aucune puissance dont elle pût réclamer le secours contre un procédé aussi odieux. Cette conduite de la cour de Vienne, marquée par tant de duplicité et de mauvaise foi, acheva de perdre le peu de confiance qu'on avait encore en elle. L'impératrice Catherine et le roi de Prusse en furent indignés; l'on s'aperçut bien à Pétersbourg que les Russes n'avaient gagné tant de batailles, n'avaient fait tant de conquêtes, que pour l'avantage de la cour de Vienne, qui n'avait obligé les Russes à rendre aux Turcs la Moldavie et la Valachie que pour en saisir ensuite elle-même une partie; et que ces usurpations, qui touchaient presque à Chotzim, rendraient la cour impériale, à la première guerre que les Russes auraient avec les Turcs, arbitre des événements, parce que ses possessions nouvelles lui donnaient le moyen de couper, par le Dniester, les Russes de la Pologne, d'où ils doivent tirer tous leurs magasins.
Le Roi avait aussi des sujets de plainte contre la cour de Vienne, parce qu'elle était cause qu'il avait fait désister les Russes de leurs conquêtes. Ces tromperies ouvertes découvraient l'avidité de s'agrandir des Autrichiens, leur ambition démesurée, et devaient mettre les autres puissances en garde contre ce qu'ils pourraient vouloir entreprendre à l'avenir. L'on savait que le jeune empereur désirait la conquête du Frioul vénitien, qu'il avait des projets sur la Bavière, qu'il méditait de s'emparer de la Bosnie, sans compter la Silésie, l'Alsace et la Lorraine, dont il n'avait pas oublié la perte. Ce prince était l'ennemi irréconciliable de la maison de Brandebourg, de sorte qu'il fallait, par principe, s'opposer à son agrandissement. Les Russes auraient voulu que le Roi se chargeât de tout, et que, comme un vaillant champion, il provoquât l'Autriche au combat. Mais les Turcs, qui étaient lésés, gardaient un morne silence : comment assister qui ne se plaint pas? Les Russes étaient épuisés par la guerre dont ils sor-