<136>pontifes; c'étaient eux qui d'une multitude d'écrits avaient choisi ceux qu'ils déclarèrent canoniques. Il faut ajouter à cet avantage dont ils jouissaient, le déchirement de l'empire, les guerres et les ravages des barbares, qui, en détruisant les lettres, augmentaient l'abrutissement et l'ignorance; et l'on se convaincra qu'il n'y avait point d'art à tromper, parce que l'ignorance, la superstition et la bêtise avaient eu le temps de préparer les dupes; et quand même quelqu'un eût osé réclamer contre le passage intercalé dans saint Jean, il ne coûtait rien de dire que ce manuscrit original n'avait été découvert que récemment.
Les évêques, en établissant de nouveaux dogmes, devaient s'apercevoir nécessairement de leur puissance et de leur crédit. Il est dans l'esprit de l'homme qu'il tire parti de ses avantages; les ecclésiastiques, étant hommes, agirent ainsi. Toutefois ils manœuvraient avec une certaine adresse : ils hasardaient quelque enfant perdu, qui avançait une opinion nouvelle, convenable à leur intérêt, et qu'ils voulaient adopter; et ensuite ils assemblaient un concile où elle était reçue comme un article de foi. Ce fut ainsi que je ne sais quel moine trouva dans un passage du livre des Machabées la doctrine du purgatoire; l'Église la reçut, et cette opinion lui valut plus de trésors que la découverte de l'Amérique n'en rapporta à l'Espagne. Il faut également attribuer à de pareilles menées la fabrication des fausses décrétales, qui servirent de marchepied au trône des pontifes, d'où, depuis, ils dictèrent impérieusement leurs lois aux nations consternées.
Avant d'arriver à ce point de grandeur, l'Église passa par différentes formes. Le gouvernement républicain dura pendant les trois premiers siècles. Depuis que l'empereur Constantin eut embrassé le christianisme, il s'éleva une espèce d'aristocratie dont les Empereurs, les papes et les patriarches principaux étaient les chefs. Cette administration éprouva, par la suite, les révolutions auxquelles tous les ouvrages humains sont sujets. Lorsque les ambitieux se trouvent en concurrence de pouvoir et de prétentions, ils n'épargnent ni ruses ni artifices pour se supplanter, et les plus fourbes l'emportent à la longue sur leurs rivaux. Ces fourbes furent les papes : ils profitèrent de l'état de langueur où se trouvait l'empire d'Orient, pour usurper l'autorité des Césars,