<16>mérite, que les talents éclipsent la présomption, et que le bien des affaires exige un choix sûr et judicieux des personnes qui sont les plus employées. Car combien de ressorts ne faut-il pas faire jouer ensemble, pour faire subsister et pour mettre en action ces armées nombreuses que l'on assemble de nos jours! Ce sont des émigrations de peuples qui voyagent en faisant des conquêtes, mais dont les besoins, qui se renouvellent tous les jours, veulent être satisfaits régulièrement. Ce sont des nations entières et ambulantes qu'il est plus difficile de défendre contre la faim que contre leurs ennemis. Le dessein du général se trouve par conséquent enchaîné à la partie des subsistances; et ses plus grands projets se réduisent à des chimères héroïques, s'il n'a pas pourvu avant toutes choses aux moyens d'assurer les vivres. Celui auquel il confie cet emploi, devient en même temps dépositaire de son secret, et tient par là même à tout ce que la guerre a de plus sublime, et l'État, de plus important.
Mais quelle habileté ne faut-il pas, dans ce poste, pour embrasser des objets aussi vastes, pour prévoir des incidents combinés, des cas fortuits, et pour prendre d'avance des mesures si exactes, qu'elles ne puissent être dérangées par aucune sorte de hasard! Quelles ressources dans l'esprit, et quelle attention ne faut-il pas, pour fournir, en tous lieux et en tout temps, le nécessaire et le superflu à une multitude composée de gens inquiets, impatients et insatiables!a Tous ces talents divers et toutes ces heureuses dispositions se trouvaient réunis en la personne de M. de Goltz. Le Roi lui confia l'intendance de son armée; et ce qui est plus remarquable encore, c'est que tout le monde applaudit à ce choix.
M. de Goltz était comme le Protée de la fable. Dans cette seule campagne, il fit le service d'aide de camp, de général, d'intendant, et même de négociateur. Il fut chargé d'une commission importante et secrète,b dont le public n'a jamais eu une entière connaissance; mais ce que le public n'ignorait pas, c'est qu'il
a En lisant cet alinéa et celui qui précède, on pense involontairement à la belle définition que Fléchier donne d'une armée, dans son oraison funèbre de M. de Turenne.
b Voyez t. II, p. 101.