<25>objet, ils voient des hérésies partout : de là viennent tant de faux jugements, et tant d'accusations formées, pour la plupart, mal à propos contre les auteurs. Un livre de physique doit être lu avec l'esprit d'un physicien; la nature, la vérité est son juge; c'est elle qui doit l'absoudre ou le condamner : un livre d'astronomie veut être lu dans un même sens. Si un pauvre médecin prouve qu'un coup de bâton fortement appliqué sur le crâne dérange l'esprit, ou bien qu'à un certain degré de chaleur la raison s'égare, il faut lui prouver le contraire, ou se taire. Si un astronome habile démontre, malgré Josué, que la terre et tous les globes célestes tournent autour du soleil, il faut, ou mieux calculer que lui, ou souffrir que la terre tourne.
Mais les théologiens, qui, par leurs appréhensions continuelles, pourraient faire croire aux faibles que leur cause est mauvaise, ne s'embarrassent pas de si peu de chose. Ils s'obstinèrent à trouver des semences d'hérésie dans un ouvrage qui traitait de physique : l'auteur essuya une persécution affreuse, et les prêtres soutinrent qu'un médecin accusé d'hérésie ne pouvait pas guérir les gardes françaises.
A la haine des dévots se joignit celle de ses rivaux de gloire; celle-ci se ralluma sur un ouvrage de M. La Mettrie intitulé, La politique des médecins. Un homme plein d'artifice et dévoré d'ambition aspirait à la place vacante de premier médecin du roi de France; il crut, pour y parvenir, qu'il lui suffisait d'accabler de ridicule ceux de ses confrères qui pouvaient prétendre à cette charge. Il fit un libelle contre eux; et abusant de la facile amitié de M. La Mettrie, il le séduisit à lui prêter la volubilité de sa plume et la fécondité de son imagination : il n'en fallut pas davantage pour achever de perdre un homme peu connu, contre lequel étaient toutes les apparences, et qui n'avait de protection que son mérite.
M. La Mettrie, pour avoir été trop sincère comme philosophe, et trop officieux comme ami, fut obligé de renoncer à sa patrie. Le duc de Duras et le vicomte Du Chayla lui conseillèrent de se soustraire à la haine des prêtres et à la vengeance des médecins. Il quitta donc, en 1746, les hôpitaux de l'armée, où M. de Séchelles l'avait placé, et vint philosopher tranquillement à Leyde.