<73>attache sur ceux dont les talents supérieurs ont entrepris de se frayer des routes nouvelles, et on les examine avec soin.

Charles XII est excusable à bien des égards de n'avoir pas réuni en lui toutes les perfections de l'art militaire. Cette science si difficile n'est point infusée par la nature. Quelles que soient les heureuses dispositions de la naissance, il faut une profonde étude et une longue expérience pour les perfectionner : ou il faut avoir fait son apprentissage dans l'école et sous les yeux d'un grand capitaine, ou l'on doit, après s'être souvent égaré, apprendre les règles à ses propres dépens. Il est permis de se défier de la capacité d'un homme qui est roi à seize ans : Charles XII vit pour la première fois l'ennemi lorsqu'il se trouva la première fois à la tête de ses troupes. Je dois observer à cette occasion que tous ceux qui ont commandé des armées dans leur première jeunesse, ont cru que tout l'art consistait à être téméraire et vaillant. Pyrrhus, le grand Condé, et notre héros même, en sont des exemples. Depuis que l'invention de la poudre a changé le système de s'entre-détruire, l'art de la guerre a pris tout une autre forme : la force du corps, qui faisait le mérite principal des anciens héros, n'est plus comptée pour rien; à présent la ruse l'emporte sur la violence, et l'art, sur la valeur. La tête du général a plus d'influence sur le succès d'une campagne que les bras de ses soldats. La sagesse prépare les voies au courage, l'audace est réservée pour l'exécution, et il faut, pour être applaudi des connaisseurs, plus d'habileté encore que de fortune. Maintenant notre jeunesse qui se voue aux armes, peut acquérir la théorie de ce pénible métier par la lecture de quelques livres classiques et par les réflexions d'anciens militaires : le roi de Suède manqua de ces secours. On lui avait fait traduire, à la vérité, l'ingénieux roman de Quinte-Curcea pour l'amuser, et pour lui donner du goût pour le latin, qu'il n'aimait pas; ce livre a pu inspirer à notre héros le désir d'imiter Alexandre, mais il n'a pu lui ap-


a Dans le huitième chapitre de son Antimachiavel, le Roi dit que « Charles XII portait depuis sa plus tendre enfance la vie d'Alexandre le Grand sur soi. » Mais les biographes du roi de Suède s'accordent tous à dire qu'il n'avait jamais lu dans sa jeunesse Quinte-Curce, qui devint sa lecture favorite pendant ses campagnes.