<81>fortifier, de construire des chemins, d'établir des ponts et des digues, et d'élever des redoutes aux endroits où elles sont nécessaires. Ces ouvrages, qui demandent du temps et de la patience, cette méthode lente, ne s'accordaient point avec le caractère impétueux et l'esprit impatient du Roi. On remarque qu'il est admirable dans toutes les occasions où la valeur et la promptitude conviennent, et qu'il n'est plus le même dans les conjonctures qui demandent des mesures compassées et des desseins que le temps et la patience doivent laisser mûrir. Tant il est vrai qu'il faut que le guerrier subjugue ses passions, et tant il est difficile de réunir tous les talents d'un grand capitaine.

Je ne fais mention ni du combat d'Holowczyn, ni de tant d'autres actions qui se passèrent durant ces campagnes, parce qu'elles furent aussi inutiles pour le succès de la guerre que funestes pour ceux qui en devinrent les victimes. Notre héros aurait pu se montrer dans plusieurs occasions meilleur économe du sang humain. Ce n'est pas qu'il n'y ait des situations où il ne faille combattre. On doit s'engager lorsque l'on a moins à risquer qu'à gagner; lorsque l'ennemi se néglige, soit dans ses campements, soit dans ses marches; ou lorsque, par un coup décisif, on peut le forcer d'accepter la paix. On remarque, d'ailleurs, que la plupart des généraux grands batailleurs ont recours à cet expédient, faute d'autres ressources. Loin que cela leur passe pour un mérite, on l'envisage plutôt comme une marque de la stérilité de leur génie.

Nous voici arrivés à la malheureuse campagne de Poltawa. Les fautes des grands hommes sont de puissantes leçons pour ceux qui ont des talents plus bornés. Nous avons peu de généraux en Europe auxquels les malheurs de Charles XII ne doivent apprendre à devenir prudents et circonspects.

Feu le maréchal Keith, qui avait commandé en Ukraine étant au service de la Russie, qui avait vu et examiné Poltawa, m'a dit que la ville n'a pour toute défense qu'un rempart de terre et un mauvais fossé. Il était persuadé que les Suédois, dès leur arrivée, pouvaient la prendre d'emblée, et que Charles traîna exprès le siége en longueur, pour y attirer le Czar et le combattre. Il est vrai que, du commencement, les Suédois n'y allèrent pas avec